On continue à rire d'Ambroise Fleury et de ses cerfs-volants, me dit
M. Pinder. C'est bon signe. Le comique a une grande vertu : c'est un
lieu sûr où le sérieux peut se réfugier et survivre.
Il est toujours bon d'avoir un grain de folie dans une époque folle. Ce n'est pas la moindre des qualités de notre héros, Ludo. Cela va lui donner un totem d'invincibilité pendant les sombres années de l'Occupation, le poussant à plonger sans ciller dans la Résistance dès 1940. Et surtout, ça va le pousser à aimer puissamment, à faire comme si sa dulcinée, Lila, jolie aristocrate polonaise, était toujours à ses côtés. Il faut bien dire qu'il a été à bonne école pour ce qui est de suivre l'instruction de la folie douce, en ayant comme maître, son oncle, Ambroise Fleury, postier de son état, mais ayant comme passion, la fabrication des cerfs-volants...
Romain Gary a toujours aimé les personnages plus grands que la vie, bigger than life dirait-on en bon français. Comme il en a été un lui-même, il ne faut guère s'en étonner. Oui, on va suivre un être bigger than life qui va être amené à en croiser d'autres tout aussi bigger, qui ne changeront pas d'un poil face aux épreuves, parce qu'ils seront plus forts qu'elles. Humains humains, ils sont, humains humains, ils resteront. L'amour d'une seule et même personne, transcendant le temps, la géographie et les bouleversements tragiques, est toute une parabole de la fidélité à ce que l'on est.
Et les fameux cerfs-volants, tout un symbole. C'est la nation au drapeau bleu-blanc-rouge qui survit malgré tout, même quand elle est à terre au lieu de s'élever dans le ciel. Ils sont tous illustrés de motifs qui forment une certaine idée de la France.
C'est une captivante double d'histoire d'amour, à une personne, à un pays. La vache, c'est tellement beau et puissant que j'ai envie d'en chialer. Le tout avec d'une pointe d'humour fine et extravagante pour bien relever le tout. Gary était un géant à n'en pas douter.
C'est un éloge à la vie. La dernière publiée du vivant d'un être d'exception qui se tirera une balle dans la bouche. Peut-être parce que les contraintes de la vieillesse voulaient commencer à l'empêcher d'être ce bigger qu'il a toujours été.
J'ajouterai juste, avant de conclure, que la scène chez le coiffeur est le plus sublime doigt d'honneur à la médiocrité humaine que j'ai lu.
Bref, laissez-vous charmer par ces Cerfs-volants. Promis, ils vous le rendront au centuple.