Qu'importe si les ouvrages de Mariana Enriquez sont traduits en français dans un grand désordre chronologique : après Ce que nous avons perdu dans le feu, Notre part de nuit, et maintenant Les dangers de fumer au lit, nous, les aficionados de l'écrivaine argentine, réclamons que ses 4 autres romans parus en espagnol soient bientôt à leur tour disponibles dans nos librairies. 12 nouvelles composent Les dangers de fumer au lit, autant d'histoires qui déterrent la peur et l'indicible, s'attaquant à tous les tabous possibles avec un naturel désarmant et une capacité d'évocation irréelle : la mort, le sexe, la folie, rien ne résiste à la plume incandescente de l'autrice. Le plus étonnant est qu'elle parvienne à nous entraîner aussi facilement dans les tréfonds de l'horreur, y compris ceux qui sont peu amateurs du genre, et sans même tutoyer le mauvais goût, qu'elle ignore d'une chiquenaude. Sans doute est-ce que parce que tous les récits disent en creux beaucoup sur notre société, en apparence civilisée voire aseptisée mais qui ne fait que ranger l'effroi de l'existence et de la violence du vivre ensemble, sous le tapis. Mariana Enriquez exhume tout des dérèglements de l'humain sans prendre de gants mais avec un rictus qui dissimule une ébauche de rire sardonique. C'est qu'il y a de l'humour aussi, forcément noir, dans ces nouvelles atroces, et une poésie inavouable sous les oripeaux du macabre. Point n'est besoin de révéler quoique ce soit de ces contes sordides car la découverte est primordiale, surtout au moment de dériver vers de glauques contrées que l'on ne voudrait en aucun cas visiter, en temps normal. Mais si l'on en devait retenir un, ce serait peut-être Les petits revenants, le plus sociologique et le plus poignant. Ce que l'on note, enfin, est la quasi absence de chute, à chacune de ces chroniques de l'épouvante, comme si l'essentiel avait été à chaque fois écrit auparavant et nous intimait l'ordre de poursuivre dans les ténèbres, avec un nouveau récit. Avec un plaisir frissonnant, Mariana !