« II serait bon que vous fassiez l’économie de toute intrigue romantique. »

Disons-le tout net, Peter Benchley n’est ni Herman Melville (Moby Dick), ni Ernest Hemingway (Le Vieil Homme et la Mer). Et pourtant, il pourrait figurer sans hésitation sur le podium des auteurs américains ayant écrit l’une des œuvres les plus emblématiques sur l’univers marin entre 1800 et 2000. Rien que ça. Mais contrairement aux deux autres, c’est surtout sa « créature » et a fortiori son adaptation cinématographique qui le fit passé à la postérité, alors même que l’auteur en lui-même est pour sa part resté relativement anonyme. Et ça n’est sans doute pas pour rien…


Il faut être honnête, même pour qui aura vu le film (c’est-à-dire n’importe quel lecteur qui aura envie de découvrir le matériau original ayant inspiré le film), Les Dents de la Mer de Peter Benchley reste un page-turner qui se dévore (hmm…) de la première à la dernière page, ne serait-ce que pour jouer au jeu des sept différences. Seulement voilà, il reste un des exemples assez rares de livre ayant été supplanté par son adaptation cinématographique (la réalisation de Steven Spielberg et la musique iconique de John Williams n’y étant sans doute pas pour rien).


La différence entre le film et le roman tient au final en ces quelques conseils prodigués en 1973 par Richard D. Zanuck et David Brown (producteurs ayant acquis les droits du roman pour le compte d’Universal) à Peter Benchley lorsqu’il leur a demandé de pouvoir écrire les deux premières versions du scénario du film : « Nous sommes en présence d’un film d’aventure linéaire, il serait bon que vous fassiez l’économie de toute intrigue romantique et autres références à la mafia. Bref, tout ce qui peut distraire le spectateur de l’histoire de base ». Tout est dit. Les producteurs avaient immédiatement perçu les faiblesses du roman.


Dans les grandes lignes, le roman est en effet le synopsis du film avec quelques scènes d’action en moins (la scène du ponton arraché, par exemple), quelques variantes et une fin sensiblement différente, moins cinématographique, mais sans doute plus crédible et intéressante. Il permet également par certains côtés d’avoir un point de vue différent sur les premières attaques du « poisson » (ainsi que le requin est décrit au tout début du roman pour ménager un certain effet de surprise) puisque tout y est vu du point de vue du requin et de ses signaux sensoriels. Ce qui fait ici la force du livre aurait fait la faiblesse du film (l’histoire est toutefois connue, le requin mécanique « Bruce » étant en panne lors de la première partie du tournage, Spielberg a dû faire bon gré mal gré le début du film sans montrer le requin).


Le roman est en revanche lourdement plombé par les médiocres intrigues parallèles supprimées à juste titre dans le film (et sans doute aussi par les piètres qualités d’écrivain de Peter Benchley). À part pour poser les prémisses d’un semblant de rivalité entre Martin Brody et Matt Hooper dans le dernier tiers du livre, la romance entre Ellen Brody et Matt Hooper n’apporte strictement rien, sinon une certaine vulgarité mal placée (là encore, le problème vient de l’écriture de Benchley). Les liens entre la mafia locale et le maire de la ville, Larry Vaughan, qui sont en arrière-plan de la première moitié du roman n’apportent également rien de bien passionnant (les enjeux économiques de la fermeture des plages lors de la saison estivale se suffisaient en effet à eux-mêmes pour comprendre les intérêts divergents des différentes parties). Autant d’éléments qui ralentissent ainsi péniblement le rythme du roman pourtant pas bien long. Et ce ne sont pas les réflexions superficielles sur le clivage social entre les riches estivants new-yorkais et les « ploucs » locaux qui vont apporter une pierre notable à une étude sociologique fouillée sur la population de la côte Est des États-Unis (ne vous attendez surtout pas à une peinture à la Gatsby le Magnifique).


L’histoire des Dents de la Mer -le roman- est ainsi avant tout celle d’un thème particulièrement original et d’une idée géniale en 1974 qui réussissent encore aujourd’hui à tenir le lecteur en haleine de la première à la dernière page. Celle d’un super synopsis en somme, mais certainement pas celle d’un roman qui fera date pour ses qualités d’écriture. Une curiosité sympathique qui permet ainsi de découvrir un scénario quelque peu alternatif au film de Spielberg. Mais au final, la force visuelle et sonore du film surpasse le roman en tout point.

marchiavel
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le 6 août 2016

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