Après Henry de Montherlant, André Maurois et Anatole France, qui ont été tous les trois des expériences de lecture remarquables pour moi, dans la famille "écrivain ayant connu une gloire immense de leur vivant avant de tomber peu à peu dans un certain oubli", je demande Maurice Barrès.
Nationaliste, antisémite, bien que paradoxe de l'homme oblige ayant entretenu de bonnes relations avec Léon Blum, et bien évidemment antidreyfusard, n'a que très sporadiquement consacré sa vie à la littérature car plus, tout au long de sa vie, homme politique, chroniqueur et journaliste... Aujourd'hui juste cité un peu par la droite, de temps en temps par l'extrême-droite (qui ont dû lire en diagonale sa page Wikipédia !!!), aucun risque que les ayatollahs de la pensée unique nous le sortent de son quasi-purgatoire. Bon, ça c'est fait. Maintenant, on peut se concentrer pleinement sur un de ses romans, son plus célèbre, Les Déracinés.
L'histoire, c'est celle de sept jeunes lorrains, qui sous l'influence d'un professeur de philosophie charismatique vont quitter leur région natale pour la capitale, tout en faisant en sorte de renier leur origine pour se mettre au service de la nation ou soi-disant et en allant à l'encontre de leur aspiration profonde.
Quand l'auteur critique ce que l'on appelait à l'époque l'Instruction publique, en mettant en avant le fait que cette dernière essaye de formater les esprits au lieu de tenir compte du moi profond de chacun, on ne peut qu’acquiescer. Ce message est d'une grande actualité.
Les pages sur les funérailles de Victor Hugo sont très belles, les plus belles peut-être de l'ensemble, parmi les plus puissantes.
«Victor Hugo est mort à une heure et demie.» Le Palais-Bourbon se vida
sur la maison mortuaire ; les parlementaires couraient au cadavre,
pour lui emprunter de l'importance.
Et on sent que l'auteur connait parfaitement son affaire lorsqu'il décrit le lancement et la "vie" d'un journal ou encore quand il évoque les petits "arrangements" en coulisses dans le monde politique et ceux qui tournent autour de celui-ci.
Voici ce qui compose le premier et le dernier tiers du roman, qui sont de très loin ses parties les plus intéressantes. Au milieu, des pages et des pages de prose, où le style parfois un peu trop pontifiant de l'écrivain se fait beaucoup trop remarquer, où la langue se fait trop hermétique, veut trop apparaître ostensiblement lyrique, pour que ça n'essaye pas de cacher du vide. Les superbes fulgurances sont avant et après.
Autre reproche, un manque de nuance dans le discours de fond. Il ne faut pas renier ses racines, c'est vrai. Il ne faut pas se laisser formater en perdant ces dernières de vue, c'est vrai. Mais pour l'auteur, cela implique que l'on doit rester chez soi et ne pas tenter l'aventure ailleurs, que c'est à peine si on ne doit pas en plus se soumettre au déterminisme social. Quand il dit par exemple d'un de ses personnages, qui connaîtra un destin tragique, que s'il était resté en Lorraine, un sort terrible ne lui serait pas arrivé, on a envie de répondre "Qu'est-ce que vous en savez" ; on peut aussi bien se fracasser sur le mur cruel de la vie près de ses racines que loin. Rester près de ses racines est indispensable à certains êtres mais pas à tous, et ça ne protège pas forcément d'un destin cruel.
Maurice Barrès fait de nombreuses références dans la forme et dans le fond, à la littérature de Victor Hugo, de Stendhal (d'ailleurs le nom de famille d'un des personnages est StuREL, Sorel, Sturel, Sorel... !!!), de Gustave Flaubert et d'Honoré de Balzac, mais il lui manque, au contraire de ces géants, une prose qui soit toujours (ou du moins quasiment toujours !!!) pleinement étincelante ainsi qu'une entière pertinence de fond. Il est certain que par ses défauts et ses qualités l'oeuvre ne peut laisser indifférent, mais pour l'instant, je veux dire uniquement par l'intermédiaire de ce roman, je ne suis pas véritablement emballé par Barrès.
Allez une de ses fulgurances (celle qui conclut carrément le roman !!!), que je trouve vraiment très belle et qui résume à merveille ce qu'est la vie, pour conclure sur une note positive :
Tombés à l'eau, ils viennent de se débattre tous en plein courant.
C'est à ceux qui ont pu regagner la rive d'examiner s'ils veulent
dorénavant y demeurer, ou s'ils tenteront une nouvelle navigation avec
leurs expériences personnelles accrues, - ou s'il ne serait pas
raisonnable d'aviser à rendre, par des travaux d'ordre général, le
fleuve plus flottable.