« … 300 pages pour nous faire comprendre que Tutur encule Tatave c'est trop »
C'est étonnant comme cette phrase de Céline s'applique merveilleusement bien au roman de Rebatet. Parce que oui c'est trop.
Non pas que j'aie éprouvé un ennui démesuré – et j'ai même lu le roman en une dizaine de jours et sans déplaisir – mais c'est surtout l'agacement qui cogne aux tempes à force.
Subissant les éternelles litanies religieuses pendant cinq cent pages.
Théologie, casuistique, exégèse, purgatoire, élévation. On en bouffe jusqu'à l'agonie. Bien sûr Rebatet sait parfaitement où il va ; la digue finira par rompre, la foi par fatiguer, la bêtise par disparaître.
J'ai tout de même du mal à pardonner les interminables discussions chrétiennes, revenant inlassablement, parfois tout à fait semblable à une autre cent page avant. On avance pas. Parce qu'il n'y a nulle part où aller dans cette foi là, cet enfermement de pensée autour du dogme briseur d'esprit.
Je comprends le mécanisme, je ne l'approuve pas.
En gros c'est le centre du bouquin que je ne digère pas. Brillant certes mais au combien lassant.
Les premières pages sont fraîches, étonnamment crues ( comme le roman entier ), brisantes, anti-universitaire, anti-religieuse, anti-conformiste – de vrais coups de burin. Mais ensuite il faut attendre trop longtemps pour y revenir, à cette verve violente, ce crachat immense vouée à l'humanité entière, aux bastions de la pensée, aux gardiens de la pensée correcte, les sorbonnards éhontés, les chiens du pouvoir, les veaux d'abattoirs.
Roman de la frustration donc, d'apprentissage inversé en quelque sorte. Récit d'une jeunesse en partie perdue à vouloir devenir ce que l'on est pas pour obtenir ce que l'on désire. Il n'en fallait pas autant.
Vient l'amour alors. Comme une justification à tout le reste. Et probablement les plus beaux chapitres du roman. L'isolement amoureux, les plaisirs de la chair ( enfin ! ), les frissons, le désir d'exclusivité. Le bonheur en somme. Si grand que l'on craint qu'il soit la dernière chose au monde. Merveille, miracle. La foi est là. L'amour de l'amour. Ces quelques pages justifient presque tout vraiment. Je n'oublie pas mais je suis envoûté. Anne-Marie et Michel, enfin. Quel couple, quelle beauté, quelle perfection. Et comme je le comprends ce pauvre Michel finalement. Resté à l'ombre, condamné à vivre par procuration un amour qui n'est pas le sien. C'est à notre tour ; spectateur de la passion qui les dévore, ces deux-amants là, et presque protagoniste également, tant la force de ces lignes pénètre au-delà des lignes.
Puis restent les corps. Et plus rien bientôt. L'acmé d'Anne-Marie est ailleurs. La sainte garce. La lumière à jamais, au fin fond des ténèbres. La mort de l'art, de la vie, de l'espérance. L'évanouissement. La perte. Il ne reste rien qu'une rancune immense, qu'une tristesse dévorant tout, colossale. Une tristesse de Dieu qu'un humain ne peut supporter.
« Ou bien, serions-nous tous de pauvres animaux qui ne frôlent le bonheur que pour le souiller et le perdre ? »