12 années après l'éminence grise, Huxley revient à la France du 17ème siècle, période qui semble le fasciner entre toutes, et au fond pose la même question en des termes différents. Le sujet reste le même: comment expliquer la lutte entre le haut et le bas qui conditionne la vie humaine.


Dans le premier des deux livres il posait la question de savoir comment un homme pouvait être à la fois un personnage à la très grande élévation spirituelle et un agent de l'arbitraire de l'état, comment Père Joseph et François Leclerq du Tremblay pouvait coexister dans le même corps. Comment expliquer le paradoxe d'un homme qui est mi-Jean de la croix, mi-Reinhard Heydrich?


Dans les diables de Loudun il étend la question au 17ème siècle. Comment une même époque a-t-il pu voir coexister le génie religieux de Bérule et la méthode d'un Descartes avec le cynisme ignoble de la guerre de trente ans et les procès en sorcellerie?


Bien évidemment, ce qu'Huxley a en point de mire, c'est la similitude entre le 17ème et le 20ème. L'éminence grise posait la question de savoir comment un homme comme Reinhard Heydrich pouvait le jour planifier l'extermination des juifs et le soir jouer entre amis les derniers quatuors de Beethoven. A présent il pose la question plus largement: comment un siècle peut-il se donner comme projet la réalisation de la rationalité tout en sombrant dans les tréfonds de la sauvagerie?


Les théories mystiques d'Huxley peuvent bien laisser de marbre les pauvres athées que nous sommes et on peut avec un légitime scepticisme considérer sa position que la seule voie haute est celle de la spiritualité religieuse. On peut aussi remettre en cause son rejet catégorique de la conscience de masse et de tout mouvement révolutionnaire authentique. Huxley est un moraliste avant tout, il n'y a pas de théorie politique à chercher chez lui. Il s'obstine à traquer les mécanismes psychologiques qui mettent l'homme à la merci de la brutalité et de la sauvagerie. Il montre comment le sentiment religieux lui-même peut être manipulé pour plonger les gens dans la crédulité et comment la crainte de l'enfer et du mal est conjurée pour justifier les plus sanglantes vendettas politiques.


Car il ne s'agit pas ici de démontrer l'absurdité des théories religieuses ayant cours alors. Il s'agit plutôt de les prendre très au sérieux. Très minutieusement, et c'est là sans doute l'intérêt principal du livre, Huxley reconstitue la vie religieuse du début du 17ème pour démontrer qu'à la lettre du dogme catholique d'alors, la condamnation d'Urbain Grandier ne pouvait paraitre que très suspecte. Ses juges ont délibérément foulé au pied les règles de la loi et de la foi pour amener le public dans un état d'hystérie superstitieuse, habillant ainsi de littérature avantageuse un vulgaire règlement de comptes personnels.


Et le parallèle de devenir évident: comment un vingtième siècle qui s'annonçait comme celui de la réalisation de l'humanité a abouti à la haine sectaire et au carnage? Comment peut-on, sous prétexte de sauver les gens, les liquider de la plus impavide des façon? Et comment l'amour de l'humanité devient-il la principale justification des génocides?


On peut penser ce qu'on veut du pessimisme mystique d'Huxley, les diables de Loudun offre un portrait vivant et saisissant d'un siècle. Il est juste un peu trop long pour son propre bien et s'égare dans des considérations sur la vie de personnages secondaires parfois sans trop d'intérêt. Restent nombres de considérations délicieuses sur les particularités d'une époque, qui, de par leur inquiétante étrangeté nous rappelle bien souvent la nôtre.

Listening_Wind
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le 15 sept. 2016

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