Après avoir vu l'adaptation à la télévision et rédigé sur SC une critique, je viens de lire le roman de Christian Signol.
D'abord, il me semble important de mentionner l'avant-propos de Christian Signol qui explique sa démarche après s'être senti blessé par les propos de deux présidents de la République qui ont affirmé (en substance) que la déportation des juifs de France étaient "des crimes commis en France par la France". Or, pour Signol, on ne doit pas généraliser à tout un pays le crime de certains. D'où l'idée de ce roman mettant en scène des gens de Corrèze, simples et capables de se dévouer aux autres, qui ne savaient même pas ce qu'était un juif mais qui ne pouvaient admettre qu'on puisse vouloir du mal à des gens innocents, en particulier à des enfants.
L'histoire de Virgile et Victoria est touchante. Christian Signol a un talent certain pour mettre en scène des gens simples et de révéler au lecteur leurs puissantes valeurs humaines même si ces héros n'en n'ont qu'une confuse conscience et qu'ils fonctionnent à l'instinct.
Bien sûr, Victoria n'a jamais pu avoir d'enfants, alors l'idée de recueillir un ou plusieurs enfants est vécue, en dépit des risques, comme un cadeau du ciel. En revanche, les choses ne sont pas si simples car la petite fille, Sarah, a sa propre histoire et ne cesse de penser à ses parents qui l'ont laissée là par prudence, créant une tension entre Victoria et elle.
L'histoire est profondément crédible. Le désespoir sans limite de ces parents tentant de mettre à l'abri leur enfant ou du désespoir de l'enfant qui a assisté à l'assassinat de ses parents. Le refus obstiné d'accepter de l'argent pour un devoir sacré. La peur quotidienne du risque d'être découvert et pris.
Victoria pensait à la question que lui avait posée un jour le docteur :
- Pourquoi faites-vous ça ? Vous avez suffisamment pris de risques depuis des mois.
- Et vous ? avait-elle répondu.
- Aider les gens, c'est aussi une manière de les soigner. Et les soigner, c'est mon métier.
- Je sais pas si vous pouvez comprendre, avait dit Victoria, mais nous, ce qu'on veut, c'est soigner les enfants qu'on n'a pas eus et qu'on n'aura jamais.
La simplicité et l'humilité de Victoria et Virgile.
Signol nous fait pénétrer chez ce couple un peu étrange mais si ordinaire. Lui est menuisier mais aime se promener sur sa barque et pécher ; comme il est gentil, il ne sait pas réclamer le paiement de son travail. Heureusement, Victoria, elle a la tête sur les épaules et gère la maison.
Le "manque d'enfants" qu'ils vivent depuis leur mariage est une fissure dans leur cœur. La présence des deux enfants réfugiés les emplit d'un bonheur qui transcende tout danger. Au point que Victoria n'hésitera pas une seconde à accompagner les enfants en déportation lorsque, malheureusement, les nazis viendront les leur prendre. Au retour de déportation, sans les enfants, la fissure s'est transformée en fracture que le silence et le souvenir peinent à recouvrir. Même si la vie d'avant a repris ses droits.
Signol a écrit un bien beau livre qui rend hommage à ces Justes.
Alors qu'un pouvoir ignominieux traquait et tuait des innocents, au fond de campagnes isolées, on trouvait des gens ordinaires, à peine au fait des enjeux mais pleins d'empathie, pour protéger des enfants ou pour apporter de l'aide naturellement et gratuitement.