Génération 91 oblige, je fais partie de ceux qui ont vu débouler en France les premières téléréalités (j’étais plutôt team Carole que Loana), ensuite la machine s’est quelque peu emballée : L’île de la tentation, Secret Story, Les Marseillais, Les Anges… Forcément, plus de 20 ans après le premier Loft Story, le regard a un peu changé, l’excitation a laissé place à une certaine lassitude, et pas mal de condescendance, devant cette exposition médiatique qui fascine toujours autant les foules tout en ayant pris de nouvelles formes et conquis de nouveaux territoires numériques.
C’est donc dans ce bain un peu opaque que Delphine de Vigan choisit de plonger ses personnages, témoins eux aussi de l’essor de la téléréalité, et acteurs plus ou moins consentants de cet univers.
Étonnamment, l’exposé semble avoir quelques années de retard pour quiconque a suivi l’évolution des réseaux sociaux ces dernières années. Très didactique dans sa manière de présenter les différentes pratiques numériques des influenceurs actuels, le récit n’apprendra pas grand-chose à un public qui maîtrise comme sa poche l’Unboxing et autres placements de produit. Hélas, on sent par moment l’autrice peut-être plus intéressée par la présentation de ces pratiques que par le thriller qui se met en place dans le fond, laissant ainsi entrevoir l’essai en sociologie des médias qui hante chaque page du livre. Instructif pour nos parents qui découvrent avec émotion la magie des algorithmes sur Disons Demain, peut-être un peu moins pertinent pour la génération Y et ses petites sœurs. Parce que pour le reste, le suspense est prenant, on embarque volontiers dans cette enquête où l’on guette le moindre rebondissement et où l’on trépigne de connaître l’envers du décor de cette famille de youtubeurs.
Avec une certaine limite néanmoins, le parti pris de Delphine de Vigan est tellement marqué qu’il enferme un peu trop ses personnages dans des représentations étriquées, opposant la maman prise au piège de la célébrité à la policière virtuellement déconnectée mais humainement isolée. L’édito à charge contre l’exploitation des enfants et la dictature du “like” ne peut que gagner notre adhésion, en cela le livre est une réussite par la justesse de son propos, mais il aurait peut-être gagné à être plus nuancé pour laisser le lecteur se projeter un peu plus dans ces destinées écrasées par le culte de la célébrité.
Qui n’a pas rêvé d’avoir son quart d’heure de gloire ?