À l’heure des directives gouvernementales sur "les activités essentielles" (autrement dit celles qui ont trait au travail), l’agréable indifférence de Simon Tanner a de quoi en agacer plus d’un.
Évidemment, des agacés, je n’en suis pas.
À mi-chemin entre Bartleby et le Neveu de Rameau, Simon fait partie de ces êtres trop légers pour être compris, trop vivants pour être enfermés et trop changeants pour pouvoir s’arrêter quelque part.
Les Enfants Tanner c’est le récit de l’abandon du désir et la lutte qui en découle : lutte pour la survie pour qui refuse de travailler dès qu’une envie d’air lui passe sous le nez, lutte pour la reconnaisse, ou au moins, l’indifférence pour qui refuse de faire carrière, art ou bien famille. C’est la recherche constante de cet équilibre si fragile entre le conformisme et la liberté, la fougue et la docilité, l’oisiveté et le travail.
Tous les enfants Tanner – Simon bien sûr, mais aussi Klaus le grand-frère rangé et bourgeois, Kaspar le peintre et ami, Hedwig l’institutrice en rêve d’ailleurs (son monologue prononcé un soir de désespoir est l’un des plus beaux du livre) et Emil, interné à l’asile, ombre d’un monde malade – cherchent leur place dans la société où les directeurs de banque occupent plus d’espace que la brèche vers un ciel d’avril.
"Je voyais souvent mon frère, toujours chargé de paquets, menant sa vie d’affaires et je me demandais pourquoi il avait l’air si abattu, la tête toujours penchée vers le sol. Elle ne devait pas être bien belle cette vie nouvelle si elle empêchait de lever les yeux."
Un roman essentiel à l'heure du couvre-vie éternel dans lequel nous sommes plongés malgré nous.