Philippe Labro fait partie, en 2013, de ces romanciers français dont l'évolution de carrière ne joue pas vraiment en leur faveur. De ses années fastes (il a écrit pour Jane Birkin et Johnny Hallyday dans les années 70, a deux fois prétendu au Goncourt dans les années 80 en échouant chaque fois de peu) jusqu'à l'homme de média vaguement ringard, voire invisible, qu'il est aujourd'hui (il est co-fondateur et vice-président de la chaîne Direct 8, où il officie en tant que présentateur en deuxième partie de soirée : on pourrait rêver mieux !), il y a eu un assagissement, un empâtement, diront les plus critiques, face au changement apparent de personnalité de l'homme, passé d'écrivain-baroudeur à homme de média (pas si) influent. La vie est belle, nous dit, aujourd'hui comme hier, celui qu'on retient désormais mieux comme étant le pote à Bolloré. « Les Gens », l'un de ses derniers romans (2009), peut faire flipper par son titre seul : a-t-on vraiment envie de savoir comment le gestionnaire de la chaîne numéro un sur les lolcats Youtube considère les « gens » ? Soit, lesdits gens sont au nombre de trois : Maria, jeune réfugiée polonaise, Caroline, cadre dans la com' et Marcus Marcus, présentateur vedette de télévision. Ils vont d'abord évoluer sur trois tableaux différents, chacun dans leur coin, faisant leurs propres rencontres pour se rejoindre enfin dans les derniers chapitres.
Parmi les nombreuses citations qui parsèment le livre, on retiendra peut-être plus particulièrement celle-ci, de Churchill : « L'optimiste est quelqu'un qui voit une chance derrière chaque calamité ». C'est effectivement une sacrée histoire d'optimistes, mais pas trop niaise. Il y a un petit côté Paul Thomas Anderson frenchie (le cinéaste est d'ailleurs cité) dans la manière que ces « gens » ont d'évoluer et de se croiser, on pense fréquemment à Magnolia qui possède des personnages semblables. Il y a aussi ce même côté ébahi, parfois un peu couillon, face à la beauté du monde et la variété des personnalités, mais rien toutefois qui n'évoque la vénalité d'un patron de télé étudiant son audimat. Chez Labro il y a bien de l'amour, une bienveillance mesurée qui permet de s'attacher à ses bonshommes bien esquissés, crédibles et entiers. Romanesque et bien ficelé, le récit progresse donc tranquillement, à une vitesse de croisière, dans un style sobre sans être fade. Un côté « road movie » assez prononcé qui n'est pas déplaisant, où on mesure bien l'évolution des personnages pour lesquels on a une sympathie grandissante – il leur arrive en effet pas mal de tuiles, allant du tolérable à l'affreux tout en restant racontées avec tact ou avec un humour gentil : un ton paternaliste, affable, bon sans être bête, gouverne l'ensemble du récit, lequel reste assez volumineux et nourri. Tout cela est certes un peu trop beau pour être vrai, mais il n'est pas interdit d'être ému car les gens, chez Labro, sont animés de pulsions, d'envies et d'inimitiés que l'on connaît tous, et qu'au final l'histoire se clôture dans une absurdité réaliste, une sorte de douce chaleur où beaucoup d'amours et d'amitiés auront été faites, défaites, refaites, partout dans le monde, un peu n'importe quand et parfois avec n'importe qui. Ce roman est une douceur sans guimauve, qui permet même de faire un parallèle avec l'évolution de la carrière de Labro, lequel, aparemment, n'est pas dupe de l'artificialité du monde des mass media. Par contre : quelqu'un lui dit, que Direct 8 c'est quand même un peu pourri ?
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