Auteur de polars et de thrillers sociaux à succès, l’ancien militaire et capitaine de police Olivier Norek met cette fois la fluidité de sa plume et ses talents de scénariste au service d’un impressionnant et immersif roman historique dont les résonances avec l’actualité tintent comme un avertissement.
Nous sommes fin novembre 1939, lorsque la seconde guerre mondiale ressemble encore à une « drôle de guerre ». Pour protéger la ville frontalière de Léningrad du risque d’invasion allemande et faute d’un accord sur la création d’une zone tampon en territoire finlandais, Staline décide d’envahir son voisin par la force, convaincu de ne faire qu’une bouchée de ce petit pays. Pourtant, malgré la supériorité écrasante des forces soviétiques, le conflit entendu comme une question de semaines s’enlise entre tranchées et guérilla, la résistance aussi bien militaire que civile des Finlandais galvanisés bloquant l’avancée d’une armée ennemie mal préparée et trop sûre d’elle. Et c’est toute une saison de neige et de glace, par des températures atteignant les moins cinquante degrés, que dure ce qu’on appelle bientôt la Guerre d’Hiver, entre une « nation ogre de cent soixante et onze millions d’habitants » et un Petit Poucet de « trois millions et demi d’âmes ».
Suivant les mois du conflit au rythme des victoires et des défaites, Olivier Norek nous immerge dans l’inhumaine absurdité de cette guerre – l’URSS ne réussira jamais à pénétrer de plus d’une quinzaine de kilomètres à l’intérieur de la Finlande, sacrifiant pour cela des centaines de milliers d’hommes dans des opérations particulièrement inconséquentes et insensées – en un enchaînement de tableaux dantesques et saisissants, en tout point fidèles à la vérité historique. Nourri d’une documentation aussi minutieuse que colossale, son récit prend vie avec naturel et réalisme, et c’est la peur au ventre et la chair transie que l’on avance aux côtés des protagonistes, tous réels mais plus extraordinaires que bien des personnages de fiction.
Ainsi en est-il de l’héroïque Simo Häyhä, considéré comme le meilleur sniper de tous les temps. Surnommé par les Soviétiques « La Mort Blanche » tant il sème la mort et la terreur au bout de son invisible lunette, il n’était pourtant à l’origine qu’un jeune homme épris de nature et de forêts qui excellait à la chasse. Son portrait, comme celui d’autres hommes et femmes sortis de la vie civile pour défendre leur pays avec la dernière énergie, rend hommage à tous ces Finlandais qui, partis « se battre contre des monstres », n’ont finalement découvert « à [leurs] pieds que des hommes », envoyés au carnage avec une glaçante inconséquence.
Cette guerre qui, véritable aveu de faiblesse soviétique, changea peut-être le cours de l’Histoire en convainquant Hitler d’ouvrir le front de l’Est, est pourtant aujourd’hui largement oubliée, sa mémoire désastreuse notamment effacée des manuels scolaires russes. Elle entre forcément en écho avec la guerre contemporaine en Ukraine, autre petit pays largement sous-estimé par son géant de voisin à la préparation fort incertaine.
Des enquêtes policières à l’investigation historique, Olivier Norek réussit avec brio le changement de registre. En tout point véridique, son récit de guerre sur l’âpre fond de l’hiver nordique est tout aussi édifiant que passionnant, son imprégnation historique n’ayant d’égale que la puissance de sa narration. Une lecture glaçante au propre comme au figuré, qui a bien des raisons de se retrouver dans la sélection de plusieurs prix littéraires. Coup de coeur.
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