I. Voici un texte écrit « au fil du pinceau », à l’exemple de Sei Shônagon et ses Notes de Chevet, "Au gré de mes heures oisives, du matin au soir, devant mon écritoire, je note sans dessein précis les bagatelles dont le reflet fugitif passe dans mon esprit. Étranges divagations ! "
II. L’édition insiste énormément sur la comparaison entre Urabe Kenkô et Montaigne (ou Pascal, lequel est, c’est vrai, comme Kenkô, l’auteur d’un ouvrage composé de fragments) on dirait une étude de littérature comparée…
III. Les notes (A) du texte sont souvent indispensables. Il y a quelques dessins en annexes, illustrant chacune l’un des fragments du texte.
Premier extrait
Pour flageller un criminel, il fallait l’attacher sur un pilori. J’entends dire qu’aujourd’hui personne ne connaît la forme de l’instrument ni la manière d’y attacher un criminel.
Deuxième extrait
Signes de mauvais goût : trop d’objets autour de soi, trop de pinceaux sur l’écritoire, trop de bouddhas sur l’autel domestique, trop de pierres, de plantes et d’arbres dans le jardin, trop d’enfants et de petits-enfants dans la maison, trop de paroles quand on se rencontre, trop de mérites étalés dans un texte votif. Mais il ne messied point de voir en quantité des livres dans la bibliothèque roulante et des saletés sur le tas de fumier.
IV. Dans Les Heures Oisives, le penseur japonais s’applique à observer une multitude d’usages, manière d’écrire, de fabriquer une boîte ou d’enrouler un parchemin.
V. Urabe Kenkô a de temps en temps une manière très parlante d’expliquer ce que c’est que « l’impermanence », notion très importante pour les japonais de l’époque, imprégnés de bouddhisme.
VI. L’écrivain est aussi un moraliste friand d’anecdotes du passé, et parfois très drôle.
VII. Il y a inévitablement du "à prendre ou à laisser" dans ces fragments.
L’évêque Ryôgaku, frère aîné de Kinyo, qui occupait un second rang à la Cour, était, paraît-il, un personnage fort irascible. Comme il poussait un micocoulier dans le voisinage de son monastère, les gens l’avaient surnommé « L’Évêque du Micocoulier ». Un tel titre ne lui convenant point, il fit abattre l’arbre en cause. Mais la racine restait : il fut donc appelé « L’Évêque de la souche ». Plus que jamais en rage, il fit derechef arracher et jeter au diable cette souche. Mais cela faisait un trou d’eau : notre homme devint dès lors « L’Évêque de la mare .
(A) à propos des notes : Par exemple, pour « Fleur d’oranger », il ne faut pas seulement comprendre « Fleur d’oranger », il faut savoir que c’est une allusion à une poésie de Iseno Naishi, pour les « Pétales de prunier », une allusion à une poésie du Kokin-shû, pour le « Liseron nocturne », une allusion au Dit de Genji… voilà qui est bien difficile. En tout cas cela donne l’idée que ces évocations de fleurs, d’animaux, d’odeurs, recèle une richesse culturelle assez exceptionnelle, en sus de la sensibilité, de la psychologie parfois étonnante, de Urabe Kenkô, moine du quatorzième siècle… !
Lu du 25 au 30 avril 2020. Traduit du japonais par Charles Grosbois et Tomiko Yoshida. 247 pages — Gallimard (Connaissance de l’Orient)