"Gravez dans votre tête cet axiome: "pas d'amitié avec les jeunes filles.""
( Je m'excuse d'avance pour la longueur de cette critique, mais il fallait que ça sorte. )
Ça faisait longtemps qu'un livre ne m'avait pas bouleversée comme ça. Vraiment. Je ne sais pas trop par où commencer, tant il n'y a rien dans ce livre qui fût à jeter. Ou alors, je suis encore trop éblouie par ma lecture pour me rendre compte des défauts de ce roman, je ne sais pas.
Je l'ai lu d'une traite, en cinq heures, ce qui est beaucoup pour les deux-cents pages constituant ce chef d'oeuvre; à peine quelques pauses pour me ravitailler, respirer, réfléchir à ce que je lisait.
Ce que je lisait. Il faut d'abord rendre hommage à la technique pure du livre. Pour ce qui est de la forme, l'ensemble du texte est très bien mené; on passe au fil des pages d'une correspondance par lettre à des fragments de journaux intimes, en passant par des articles de presse et un long chapitre qui semble n'être rien de moins que la pensée de l'auteur au sujet de ce thème si important qu'est le bonheur -et c'est vraiment à lire. En parcourant cette vingtaine de page, presque dissertation sur la différence de conception du bonheur entre les hommes et les femmes, j'en suis venue à me demander ce qu'aurait pensé une activiste FEMEN en lisant ce roman. Mais c'est, il faut l'avouer, bien fichu et criant de vérité.
Le style est également très pointu: sans être chichiteux, c'est efficace, c'est vrai, et c'est beau. Je me suis délectée de chaque mots, chaque phrases, chaque chapitres, les yeux presque dilatés tant j'étais en admiration devant la façon dont Henri de Montherlant guidait ses personnages et leur histoire.
Ah, l'histoire. Elle n'a rien d'extraordinaire pourtant. Et c'est sans doute ce qui fait des Jeunes filles un roman hors du commun: cette vision inédite et tellement cruelle des relations entre hommes et femmes.
Il est terrifiant ce roman, dans sa descriptions des rapports humains.
C'est probablement pour ça que je met un dix; je ne verrais sans doute plus ma façon d'être avec les autre et surtout leur façon d'être avec moi de la même manière.
Je me suis identifiée à tous les personnages, parce qu'ils sont à la fois singuliers et universels. Je me suis identifiée à la simplette et ouverte Solange, à l'irréelle et dévote Thérèse; je me suis même identifiée au froid, au cruel, à l'intelligent écrivain de talent Costals, qui écrivit notamment cette phrase d'anthologie: "Je connais bien l'amour; c'est un sentiment pour lequel je n'ai pas d'estime. D'ailleurs il n'existe pas dans la nature; il est une invention des femmes.". Et surtout, surtout, je me suis identifiée à Andrée. Andrée, l'amoureuse folle, désespérée, qui se noie dans son amour pour Costals et y perds dans la course sa raison et sa dignité.
La prochaine fois que je me ferais embrasser, cajoler, caresser, je ne verrais plus ces marques d'affections de la même façon. Il subsistera en moi cette peur irréelle d'être à mon "amant" ce qu'Andrée est à Costals, cette terrifiante possibilité que je ne suis qu'une folle qui interprète chaque gestes et chaque paroles comme un geste d'amour alors qu'ils ne sont au fond que politesses, que convenances, que de la pitié.
Je ne suis pas sortie indemne de ce roman. Je ne sais pas si c'est une bonne ou une mauvaise chose, mais ça relève du génie.
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