De Vigan et la loyauté
Voici presque deux semaines que j'ai achevé la lecture de ce roman, il m'a été difficile de rédiger une critique car me reste des Loyautés un léger goût mi-figue mi-raisin.
J'ai découvert Delphine De Vigan en lisant d'abord D'après une histoire vraie, j'avais adoré - alors j'ai lu Rien ne s'oppose à la nuit puis Les heures souterraines, j'ai aimé. Naturellement je me suis empressée de me procurer Les loyautés.
Ce roman traduit les liens quels qu'ils soient. Ceux du coeur, ceux du passé ; les liens familiaux, les liens amicaux. De Vigan s'immisce ainsi dans la vie de plusieurs personnages "aux destins croisés". Chacun d'entre eux porte un lien, une loyauté envers son passé qui transparait au présent. Théo, Mathis, Cécile et Hélène. Deux enfants et deux adultes, comme un miroir.
Le brio de De Vigan a toujours été son attache à la réalité et aux faits sociaux, son écriture est donc fluide, pragmatique mais douce. Les faits sociaux qu'elle rapporte sont en revanche brutaux. L'alcoolisme, la dépression, l'horreur procédurière de l'éducation nationale, le rejet du passé, les doubles vies, le divorce.
Voici un exemple d'ancrage dans la réalité, j'ai beaucoup apprécié ce coup de gueule bourré de vérités : "
- Est-ce que vous serrez les fesses lorsque vous croisez un groupe de jeunes filles manifestement ivres en pleine nuit ? (...)
- Eh bien non. Parce que jamais aucune femme, même ivre morte, n'a posé sa main sur votre sexe ou vos fesses, ni accompagné votre passage d'une remarque à caractère sexuel. Parce qu'il est assez rare qu'une femme se jette sur un homme dans la rue, sous un pont, ou dans une chambre pour le pénétrer ou lui enfoncer je ne sais quoi dans l'anus. Voilà pourquoi. Alors sachez que oui, n'importe quelle femme normalement constituée serre les fesses lorsqu'elle passe devant un groupe de quatre types à trois heures du matin. Non seulement elle serre les fesses mais évite le contact visuel, et toute attitude qui pourrait suggérer la peur, le défi ou l'invitation. Elle regarde devant elle, prend garde à ne pas presser le pas, et recommence à respirer quand enfin elle se retrouve seule dans l'ascenseur".*
Seuls les deux jeunes garçons ne s'expriment pas à la première personne, le narrateur est omniscient. Je ne sais pas pourquoi De Vigan a fait ce choix de point de vue narratif. Peut être car les adultes portent un recul sur leur vie qu'ils peuvent donc narrer ? Contrairement aux enfants dont les empreintes qu'ils porteront au cours de leur vie d'adulte sont justement en cours de naissance... Je ne sais pas.
Je crois que ce roman est profondément philosophique mais je crois que cette profondeur ne m'a pas atteinte là où il fallait. Je suis restée aussi pragmatique que l'écriture de De Vigan, j'ai suivi l'histoire et me suis laissée emporter sans entrer dans une réelle réflexion. D'où mon sentiment mi-figue mi-raisin.
Sur mon carnet j'ai noté "un drame esquissé". C'est un roman court, les chapitres se succèdent au fil des personnages. On devine le dénouement au gré de plusieurs indices mais on reste bien pantois en découvrant l'explicit. Comme si le lecteur n'avait pas eu le temps de s'attacher aux personnages. Une esquisse, un choix assumé. Un roman aussi brutal que l'histoire qu'il raconte.
Je crois que tous ces je crois sont recherchés par Delphine De Vigan, je crois que je n'aurai pas de réponse.
Malgré tout la figue et le raisin demeurent doucement sucrés, pas d'amertume en rangeant ce livre dans ma bibliothèque aux côtés de ses prédécesseurs.
Delphine De Vigan - Les loyautés - Janvier 2018, JC Lattès.
*Page 146.