Avant toute chose : Noter un texte d'une telle influence n'a pas de sens.
Les métamorphoses d'Ovide sont un défi à lire d'une traite. Ce poème en quinze livres adopte un plan "chronologique" qui recueille tous les mythes impliquant des métamorphoses, principalement dans le monde grec. Cependant l'ouvrage avance sans réel ordre, avec une logique qui rappelle cette comptine : "trois p'tits chats, chapeau de paille, paillasson...". L'auteur s'efforce de trouver des transitions pour passer d'un mythe à l'autre, mais c'est souvent assez artificiel. Un truc qui revient souvent est celui d'un groupe de personnages qui vont chacun raconter une histoire, par exemple quand Orphe raconte une série de mythes aux animaux assemblés autour de lui (avant d'être découpé par des ménades).
Quelques livres se détachent du lot : le premier qui raconte la création du monde, issu de la séparation des quatre éléments (la Terre formant un disque entouré d'océans) ; les livres XII-XIII, qui forment une incursion dans la guerre de Troie, dans les pas d'Homère ; le livre XIV, consacré aux progrès d'Enée et de ses descendants dans le Latium (coucou Virgile), et enfin le XV, qui formule la théorie pithagoricienne (tout se transforme ; les âmes transmigrent ; go vegan !).
Il est aujourdh'ui assez difficile de lire ce texte sans être influencé par la littérature maniériste qui s'en est inspirée, du XVIe au XVIIIe siècles. Pourtant ces nymphes, ces fleuves cornus, ces dieux dont la silhouette dégage une aura de lumière, et qui fendent l'éther sur leur char, il faut essayer de repousser ces tableaux de bergers galants et de déesses aux joues rouges qui nous viennent à l'esprit. Evidemment, retrouver la mentalité antique est une chimère, mais on peut tout de même tirer profit de la relecture de ce monument (non exempt de défauts et de lourdeurs).
D'abord je conseille de le relire avec un atlas du monde grec en main. J'ai lu le livre en édition Garner Flammarion, avec la traduction et les notes de J. Chamonard, qui sont très fournies : je suis fier de pouvoir désormais placer le Ténare ou l'île de Cythère (qui sont d'ailleurs proches). Mine de rien, cette géographie des mythes n'est pas anodine. C'est d'ailleurs lors de ses voyages en mer Egée, en Crète, en Grèce et en Asie mineure, et de ce qu'on lui a raconté lors de ses visites de sanctuaires, qu'Ovide a accumulé le matériel nécessaire pour faire maturer le projet de ce livre. Cela vaut Pausanias, au fonds.
Ensuite, quand Ovide n'est pas occupé à imiter Homère ou Virgile (clairement ce que j'aime le moins), il y a des notations de vie quotidienne qui sont touchantes (la manière dont Philémon et Baucis, deux fermiers âgés et pauvres, apprêtent la table pour leurs visiteurs qui cachent leur divinité).
D'un point de vue esthétique, l'ouvrage est très composite, et l'on trouve tantôt des emprunts très visibles, tantôt le Ovide sensuel et pacifiste, obsédé par les femmes , que l'on trouve dans les Amours. Il y a beaucoup de poésie dans certaines notations décrivant la nature et certaines métaphores, mais dans un genre tout de même moins élevé que ses concurrents épiques. Il y a parfois de jolies trouvailles.
Concernant le recueil lui-même, les histoires sont développées de manière très inégale : l'histoire de Pyrame et Thisbé va courir sur plusieurs centaines de vers alors que d'autres, y compris des histoires attendues, sont évacuées en un vers. Il y a indéniablement un côté répétitif, dans la mesure où ce qui va créer une métamorphose est souvent soit une vengeance (pour punir d'un défaut, ou parfois juste par mauvase humeur), soit au contraire pour sauver (typiquement, une personne qui se suicide de désespoir en se jetant du haut d'une falaise est changée en oiseau avant de toucher la mer) ou encore comme aboutissement d'une passion (plusieurs femmes pleurent tellement qu'elles se changent en source, etc...). Il y a derrière ces histoires parfois la tentative d'expliquer un phénomène naturel (l'écho, la couleur rouge de la tête du pivert, etc...), parfois le simple plaisir de la narration (à noter l'indigeste scène de combat entre les Centaures et les Lapithes).
Bon, et sinon, à relire ces histoires avec nos yeux contemporains, il y a beaucoup de boutons rouges de poussés : Jupiter viole une amazone et c'est elle qui subit la punition pour avoir subi la virginité ; l'inceste et le lesbianisme c'est mal, mais l'homosexualité masculine et la transsexualité ça va ; etc...
Pour finir, ce qui me touche beaucoup, c'est le rapport aux autres êtres vivants. Les personnages d'Ovide vivent dans un monde où l'humain n'est pas séparé de beaucoup des animaux, qui font partie de sa vie quotidienne. Il faut toutefois faire la part des effets littéraires (je ne peux m'empêcher de penser Ovide plutôt comme un urbain), mais tout de même il se dégage un rapport à la nature qui ne peut que me faire méditer.
Une mine pour les iconographes (Ovide peignant souvent ses scènes en s'inspirant de vases, de groupes statuaires, de bas-relief) et les passionnés de mythe. L'oeuvre en soi est assez indigeste, mais elle est tout de même incontournable.