On voudrait parfois être cannibale, moins pour le plaisir de dévorer tel ou tel que pour celui de le vomir.
Cioran
Houellebecq m’a toujours amené au cannibalisme. Peut-être est-ce sa physionomie si particulière, qui le rapprocherait presque d’un portrait de Schiele, avec ses pommettes décharnées et ses yeux vidés par un tabagisme excessivement baudelairien. Il ressemble à un steak qui aurait pourri dans les rayons d’un hypermarché de province.
Houellebecq est de ceux qui décrivent les cannibales.
C’est bien simple, nous ne sommes rien d’autres que des anti-êtres foutus, dépréciés par le monde et le temps qui passent, condamnés à nous dévorer, enfermés dans un processus ontologique libéral. Aimons-nous les uns les autres, bouffons-nous les uns les autres. Tuons, ayons une sexualité débridée, violente, criminelle parfois, sacralisons l’inatteignable et enfermons-nous dans le fantasme de son atteinte.
Le problème que l’on peut avoir avec Houellebecq, c’est que nombreux sont ceux qui réduisent la portée de ses œuvres à une adhésion au discours. Comme si aimer une œuvre se réduisait à être en adéquation avec les réflexions qu’elle suscite. Bientôt, on tentera de décrédibiliser ses livres avec un #notallmen…
Avant d’être un philosophe (ce qui est en soit hautement discutable ne serait-ce que d’un point de vue méthodologique), Houellebecq est un poète. Il fait grincer des temps, soupirer jusqu’à plus soif. Il est de ceux qui prennent un malin plaisir à le nier par une accumulation de provocations sans substance. Et pourtant elle est bien là, elle se mue silencieusement entre nos synapses, cette impression de tristesse infinie qui se répand. Lire un livre de Michel Houellebecq a toujours été une expérience difficile. J'en suis perpétuellement éprouvé.
C’est un auteur que je commence à connaître, et qui pourtant continue de m’échapper, s’évaporant dans ses affluents les plus secrets. Ses œuvres sont des flots incessants qui me happent sans permission, et m’empêchent de le chercher dans ce que ses romans engendrent de plus formidable : leurs ramifications cachées.
Une fois refermé, j’ai toujours l’impression de ne pas l’avoir pleinement compris.
Les Particules Élémentaires n’y échappe pas. Il m’en reste une impression vaporeuse, marquée par la certitude d’avoir lu un grand livre noyé sous le cynisme réflexif. Un espoir en l’amour comme dernier remède aussi. Putain je me suis encore fait avoir... Et je suis incapable de le contredire.
Il n'y a rien de plus terrifiant qu'un portrait de Schiele vous faisant la leçon.
La seule chose qui reste est l’espoir en un monde meilleur, possible sans doute. Nous sommes condamnés à l’échappatoire, à nous soustraire à tout : au monde, à la souffrance, au plaisir, à notre propre héritage. Comme si notre ambition était de ne plus exister, à l’instar de l’enveloppe biologique de l’auteur.
Les cannibales n'ont pas de cimetière.
Marcel Mariën
Houellebecq est ce qui peut exister de plus insupportable dans le paysage littéraire. C'est un couillon génial.