On a parfois le sentiment, en découvrant une œuvre d'un artiste qu'on aime bien, que l'on contemple le sommet de sa carrière. Que, quoi qu'il fasse après, il ne sera jamais vraiment capable de produire quelque chose de mieux. Parfois on se trompe mais, bien souvent, ce sentiment se révèle justifié. Les Particules Élémentaires est vraisemblablement de ces œuvres-là.
Houellebecq est un auteur engagé, qui ne peut laisser personne indifférent. Son style simple (et même "volontairement absent" pour certains) est ici mis au service d'une histoire froide et triste, totalement ancrée dans la réalité (à part sur la fin). L'écrivain français met en scène, dans ce roman, deux demi-frères à la mentalité bien différente. Les deux hommes, dont on suit la vie de l'enfance jusqu'à la quarantaine, sont nés de la même mère, une "68tarde extrême", qui a balancé par la fenêtre tout ce que l'homme avait construit depuis des centaines et même des milliers d'années. Elle ne les a pas éduqués, a préféré s'envoyer en l'air avec tous les cassos qu'elle a croisés.
Michel est un brillant chercheur en biologie, guidé par son cerveau au point d'en être incapable d'aimer et de préférer la solitude de son travail. Bruno en est l'extrême inverse. Il se laisse guider par ses désirs, donc par son sexe, au point même de devenir professeur de français au lycée pour draguer des filles (trop) jeunes. Le parallèle est mordant, pertinent car, bien que les manières de vivre des deux demi-frères soient radicalement opposées, leur attachement faible pour la vie et le néant sentimental qui ponctuent leurs journées les rassemblent. Ils sont issus d'une génération sacrifiée, celle venant après les idéologies libertaires des années 60 ("peace and love", etc.).
Houellebecq manie ici l'humour avec un talent fabuleux. Le personnage de Bruno lui sert de prétexte pour tirer sans retenue sur tous les concepts de ces fameuses révolutions, à travers quelques scènes d'anthologie au "Lieu du Changement", un "camping post-soixante-huitard tendance New Age" (dixit le résumé du roman). Sa capacité à saisir les petites mimiques, les petits tics des gens qui l'entourent, et tout le ridicule qui peut être retiré de n'importe quelle attitude, sont une des plus grandes forces de l'écrivain controversé. Il en retire des scènes hilarantes qui rendent presque "fun" la lecture d'une histoire extrêmement pessimiste, illustrant la mort lente et douloureuse de la cultre occidentale ou, du moins, des valeurs qui la définissaient et lui servaient de fondations solides.
Comme dans Soumission par exemple, l'auteur se demande si une civilisation peut exister sans véritable repère par rapport à la mort, autrement dit principalement sans religion. Dans son roman de 2015, Houellebecq essaie de voir ce que l'Islam pourrait apporter à la civilisation occidentale, s'il pourrait faire office de phare pour nous guider dans un brouillard de plus en plus épais. En somme, recréer des barrières, une signalétique afin de nous aiguiller dans le droit chemin. Les Particules Élémentaires s'interrogent, surtout sur la fin, sur la capacité de la science à remplacer la religion dans son explication de l'après-vie et dans sa lutte contre la peur de la mort qui peut, à elle seule, changer radicalement le comportement de l'humanité.
Les Particules Élémentaires est un petit chef-d'oeuvre, un roman d'un peu plus de 300 pages qui se dévore en offrant un mix parfait entre comédie et drame, une analyse fine de la société occidentale d'aujourd'hui, un regard très subjectif (ce qui est toujours plus intéressant qu'un bête compromis pour ne choquer personne) sur celle-ci et sur beaucoup de coutumes dont (avouons-le) nous avons tous ri un jour (la voyance, sérieux...). À lire sans aucune hésitation. Un futur classique de la littérature française, témoin d'une époque (les années 60-70-80) et d'un regard triste sur celle-ci (les années 2000-2010).
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