C'est toujours un plaisir de lire ou relire Michel Houellebecq même si la lecture n'est pas toujours drôle et optimiste, lire ses vérités donnent du baume au cœur. L'auteur voit juste et fait mouche, il est d'une lucidité déconcertante. Ses personnages souffrent dans ce monde de merde qui est le nôtre. Il paraît que Les Particules élémentaires serait le roman le plus côté de l'écrivain. Personnellement, je lui préfère L'Extension du domaine de la lutte, plus énergique, plus drôle et grosso modo traitant du même sujet : la misère sexuelle en regard avec le libéralisme économique, social et culturel.
Le 14 décembre 1967, l'Assemblée nationale adopta en première lecture la loi Neuwirth sur la légalisation de la contraception [...]. C'est à partir de ce moment que de larges couches de la population eurent accès à la libération sexuelle, auparavant réservée aux cadres supérieurs, professions libérales et artistes - ainsi qu'à certains patrons de PME. Il est piquant de constater que cette libération sexuelle a parfois été présentée sous la forme d'un rêve communautaire, alors qu'il s'agissait en réalité d'un nouveau palier dans la montée historique de l'individualisme. Comme l'indique le beau mot de "ménage", le couple et la famille représentaient le dernier îlot de communisme primitif au sein de la société libérale. La libération sexuelle eut pour effet la destruction de ces communautés intermédiaires, les dernières à séparer l'individu du marché. Ce processus de destruction se poursuit de nos jours. (p.116)
Michel et Bruno sont des personnages très attachants, on a de la peine pour eux dans les moments difficiles. La lecture est parfois extrême, l'auteur n'hésitant pas à verser dans la pornographie décomplexée notamment lorsqu'il évoque la vie de Bruno et ses troubles, ses manques... Cela ne m'a pas dérangé outre mesure même si, dans le métro, on peut se sentir gêné ! La promiscuité tout ça... La mort est omniprésente, pas besoin de lire George R. R. Martin pour en profiter, et pèse sur le récit.
Je regrette les quelques longueurs. Notamment les paragraphes scientifiques et théoriques, en dehors du récit pur, qui servent à mettre en exergue la vie romanesque de ses personnages mais qui sont parfois d'une lourdeur inouïe ou encore, la jeunesse des parents de nos deux anti-héros si je puis dire... Pas très intéressante à la lecture, on s'ennuie parfois, même si cela reste des éléments clés pour comprendre le passé des deux frères. Heureusement, Houellebecq nous gratifie de passages savoureux, notamment Bruno en vacances au Lieu du Changement avec la yogini hippie. Tellement drôle le moment où ce dernier doit composer un poème lors de l'atelier d'écriture (p.110-111). L'auteur déploie un cynisme sans borne qu'il joint habilement à son style d'écriture très froid, très clinique. Le génie de Houellebecq, outre les sujets qu'il aborde brillamment dans ses romans, repose sur son style journalistique qui sied parfaitement à l'époque sur-médiatisée dans laquelle on vit. C'est également les contre-pieds nombreux qu'il fait d'une phrase à l'autre, en passant du coq-à-l'âne subitement. L'effet comique marche à chaque fois. Mais ce qu'on apprécie chez Houellebecq, c'est la recherche de simplicité formelle et factuelle. Il y a une véritable authenticité dans son rapport au monde, à l'écriture. On sent qu'il aurait aimé un monde moins fou, moins chiant, moins merdique avec plus de sens et de repères. Et ça, ça parle à tout le monde :
Lui-même ne demandait qu'à aimer, du moins il ne demandait rien. Rien de précis. La vie, pensait Michel, devrait être quelque chose de simple ; quelque chose que l'on pourrait vivre comme un assemblage de petits rites, indéfiniment répétés. Des rites éventuellement un peu niais, mais auxquels, cependant, on pourrait croire. Une vie sans enjeux, et sans drames. Mais la vie des hommes n'était pas organisée ainsi. (p.120)
On peut être saisi quant à la dimension autobiographique, et dans quelle proportion, des rapports qu'il entretien avec ses personnages. Un excellent roman, parfois un peu mou mais dans l'ensemble très correct. L’épilogue futuriste, d'un cynisme et d'un pessimisme morbide, est à tomber à la renverse. À tous ceux qui savent qu'on vit dans un monde pourri mais qui se lèvent quand même le matin.