En lisant Les Prépondérants, les amateurs de cinéma français "colonial" des années 30 ne seront pas dépaysés. Avec un regard différent, soit, puisque près d'un siècle est passé, mais les différents portraits que tresse Hédi Kaddour dans ce roman choral ne sont pas si éloignés de la description du Maghreb d'entre les deux guerres que l'on est habitué à imaginer (fantasmer ?). L'auteur ne réussit pas vraiment la fresque qu'il aurait voulue, car trop digressive -l'épisode Fatty Arbuckle est interminable et fastidieuse, la description de la Rhénanie occupée et de la montée du nazisme, hors sujet- et certains personnages, notamment féminins, ressemblent à des clichés ambulants (l'actrice américaine, la journaliste émancipée). Plus convaincante est la figure Rania, la jeune veuve qui résiste au machisme et au racisme ambiants mais d'héroïne présumée du roman, elle devient au fil des pages un second rôle sans véritable épaisseur. A part cela, le livre suscite cependant un véritable intérêt, mais à travers des scènes isolées et son évocation aigre-douce du choc des cultures : américains, colons, autochtones. Les prépondérants se lit comme une sorte de feuilleton avec des épisodes plus ou moins cocasses ou tragiques. Il s'en faut de peu, peut-être pour cause d'absence de point de vue, pour que le liant se fasse dans ce qui aurait pu être une sorte de Coup de torchon, en moins caustique, et qui se révèle plutôt un tableau de moeurs à la Chabrol, agréable à lire certes, mais pas tout à fait au niveau des ambitions qu'on lui prêtait, sans doute à tort.