Trente mille. C'est le nombre d'éléphants tués en cette année de 1956 dans l'immense Afrique-Équatoriale française. Braconnage, chasse sportive et surtout une loi autorisant à abattre les éléphants qui menacent les récoltes, sont responsables de ce massacre organisé et répété d'année en année. Face à cet horreur, un homme va s'y opposer. En commençant par une simple pétition pour finir par prendre les armes, Morel va entraîner dans sa lutte toute une cohue de personnages atypiques dont un naturaliste danois, une serveuse Allemande et un ancien député africain déchu. Pour les autorités et la population, le combat de Morel cache en vérité une volonté politique. Mais pour le principal intéressé, seul compte la sauvegarde de ces géants arpentant la savane.


Romain Gary décroche avec son roman Les Racines du ciel son premier Goncourt. À travers une réflexion sur le respect et la protection des pachydermes, l'écrivain développe et défend sa vision sur la place de l'homme dans le cycle de la vie. Une place qui devrait être plus respectueuse de ce qui l'entoure, car le destin de l'homme est lié à la nature. Tant que des atrocités seront commises sur les éléphants, des atrocités seront commises sur l'homme. Gary en appelle à notre conscience, notre humanisme. L'auteur reviendra sur tout ceci près de dix ans après la sortie de son livre dans un court récit intitulé Lettre à l'éléphant. Une lettre touchante où il partage et explique son intime relation avec ces géants de la terre.



Nous ne nous sommes plus jamais rencontrés et pourtant dans notre existence frustrée, limitée, contrôlée, répertoriée, comprimée, l’écho de votre marche irrésistible, foudroyante, à travers les vastes espaces de l’Afrique, ne cesse de me parvenir et il éveille en moi un besoin confus. Il résonne triomphalement comme la fin de la soumission et de la servitude, comme un écho de cette liberté infinie qui hante notre âme depuis qu’elle fut opprimée pour la première fois. J’espère que vous n’y verrez pas un manque de respect si je vous avoue que votre taille, votre force et votre ardente aspiration à une existence sans entrave vous rendent évidemment tout à fait anachronique. Aussi vous considère-t-on comme incompatible avec l’époque actuelle. Mais à tous ceux parmi nous qu’écœurent nos villes polluées et nos pensées plus polluées encore, votre colossale présence, votre survie, contre vents et marées, agissent comme un message rassurant. Tout n’est pas encore perdu, le dernier espoir de liberté ne s’est pas encore complètement évanoui de cette terre, et qui sait ? si nous cessons de détruire les éléphants et les empêchons de disparaître, peut-être réussirons-nous également à protéger notre propre espèce contre nos entreprises d’extermination.



Le personnage de Morel est l'archétype des héros tourmentés de l'écrivain, les rescapés des camps de concentrations. On retrouve ces personnages marqués au fer rouge par la déportation, la détention et les mauvais traitements subis dans les livres écrits dans les années d'après-guerre (Tulipe en 1946, Le Grand Vestiaire en 1949 et Les Couleurs du jour en 1952).


Ponctuant sa trame narrative de plusieurs sauts en avant qui plongent le lecteur dans les coulisses d'un procès dont l'absence de Morel se fait de plus en plus inquiétante, l'écrivain exploite dans Les Racines du ciel de nombreuses figures de style et son sens exceptionnel du mot juste.


Bien plus qu'un simple roman sur l'écologie, Romain Gary y défend sa vision de l'homme et fait du combat pour les éléphants l'allégorie pour la liberté. Écrit avec passion, le lecteur partage la vision de l'écrivain. Celle de vastes étendues africaines où, au milieu des troupeaux de toutes espèces, s'élève le formidable barrissement poussé par des montagnes vivantes, les majestueux éléphants.

Vincent-Ruozzi
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le 5 nov. 2017

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Vincent Ruozzi

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