A sa mère Baudelaire écrivait qu’il n’a « jamais considéré la littérature et les arts que comme poursuivant un but étranger à la morale et que la beauté de conception et de style suffit. ». La fresque de Gary se situe aux antipodes de la littéraire position baudelairienne puisque c’est avec de gros sabots crottés qu’elle prétend révéler l’Immoralité comme le garde-champêtre d’avant beuglait au centre de nos villages les communales évidences. Romain Gary, donc, dénoncerait l’ignominie quasi génétique de l’Humain qui en massacrant les animaux sauvages ne comprendrait pas qu’il se perd lui-même. La belle affaire. Merci Romain, dieu merci vous êtes là pour ouvrir au pied de biche nos paupières collées d’hommes assoiffés de sang. Peu importe si chemin faisant vous abandonnez un certain champ littéraire, le message d’abord. Admettons.
Un doute subsiste néanmoins : avons-nous l’esprit assez tendu pour bien tout comprendre de votre Goncourt ? Puisque trop de prudence ne saurait nuire, vous puisez, sait-on jamais, dans cette « géniale » homologie : le massacre de la faune africaine a tout à voir avec la Shoa, tel cet homme fabriquant des abat-jours avec des peaux de mammifères comme les nazis en fabriquaient avec de la peau humaine, ou encore ces trafiquants d’ivoire, ou pire, ces africains de souche pour lesquels la viande de faune sauvage constitue une source essentielle de protéines, ou encore ces populations de jeunes hommes pour lesquelles la chasse à l’éléphant, en plus de constituer un rituel de passage à l’âge adulte (la tradition, c'est le Mal), permet de protéger, un peu, leurs agricultures si difficilement menées à maturité. Tout se vaut ou presque, le nazi, le trafiquant, le chasseur père de famille. Egalitarisme d’avant-garde. Vous auriez dû naître au 21ème siècle.
Mais c’est un peu court. Que l’Homme soit prêt à vendre ou tuer sa mère (sa planète mère ?) contre un peu de pognon ou de pouvoir, on le savait. On en trouve des stigmates partout, chez les antiques grecs, dans la Bible et même chez Balzac. Et quoi ? Que voulez-vous qu’on fasse de ça ? Ce méticuleux pavé peut-il modifier d’un iota, ou réinterroger, la vision que nous aurions du monde ? Si ce boyscoutisme planétaire a pu toucher à la sortie de la guerre, pour de bonnes raisons, il n’évoque rien aujourd’hui de ce qu’on sait déjà. Il ne me touche pas, ce que je regrette vivement : la bonne conscience, ce n’est pas rien. Quand même. Je déteste même la maxime de Nietzsche selon laquelle « nul ne ment autant qu’un homme indigné ». C’est dire.