Steinbeck est un magicien. Il ne pose pas l'histoire comme on grave dans du marbre, comme l'aurait fait un Hugo ou un Tolstoi. Il témoigne mais son témoignage est fait de couleurs, d'impressions et non pas de faits précis et datés, ce qui donne ce style fluide et crystallin.
L'histoire est lente, il se passe peu de chose finalement, pas vraiment de début ni de fin. Steinbeck regarde et nous raconte, avec à la fois le recul de l'historien et l'amour du fils. Il campe des personnages très forts, qui quittent leur terre un jour, chassés par l'avènement du tracteur, attirés par le mirage de la Californie, et qui se retrouvent perdus dans un univers hostile et effrayant. Et si on sent l'amour qu'il porte aux Joads et à tous leur semblables, si il condamne ceux qui les oppressent, ce qui prédomine c'est son amour des gens.
Il valorise plus les Okies qu'il ne condamne leurs bourreaux. Il comprend presque même si il désapprouve. Il comprend la terreur aveugle des riches et des même pas si riches qui s'accrochent au peu qu'ils ont.
Ce livre trainait depuis un moment sur mes étagères et j'aurais pu le lire n'importe quand. Mais là il a résonné très très fort tout d'un coup.
Je lis tous ces Okies qui débarquaient en masse à l'Ouest, campés dans leurs misère, et je vois les migrants qui s'échouent par milliers en Europe. Je m'horrifie des californiens qui font des raid meurtriers sur le camp ou se terrent les Joad, et j'entend l'histoire de ce groupe à Calais qui agresse les réfugiés. La colère monte sourdement dans le camp des okies contre les grands propriétaires terriens, et un syndicat agresse le représentant de la direction. Le progrès met les Joad à la porte de chez eux, et ce même progrès menace aujourd'hui les taxis, la sncf et les hoteliers.
C'est pourtant beau le progrès, ça le serait tellement plus si ça se faisait dans la douceur, une fois, pour voir. Je lis les californiens dirent que les Okies puent, sont feignants et dangereux, et j'entends que les étrangers des contrées lointaines viennent en France pour voler nos boulots quand c'était pas si terrible chez eux, brulent des voitures aussi et même pourquoi pas posent des bombes.
L'humanité ne change pas. On ne change pas. Le progrès technique avance mais nous on avance pas tant que ça au fond.
Mais bon, je lis Ma qui nourrit désespérée des gosses affamés, je vois Casey qui aime les hommes et ce qu'ils disent, je vois Rosarsharn qui pèle les patates en silence avec son ventre, je vois l'amour que cette famille se porte.
Alors je me dis que c'est peut être bien qu'on ne change pas complètement. L'homme est aussi fait de bonnes choses au final...