Ben Aaronovitch prend un peu de son ambiance à Harry Potter. Il y a plusieurs grandes œuvres auxquelles j’ai trouvé qu’il avait emprunté ses idées, mais j’ai eu cette impression très tôt dans le sens où l’on ne sait pas se situer dans le temps : on est à Londres, dans les années 2010, mais tout y est désuet, comme si les brouillards de Londres ne s’étaient pas recyclés en deux siècles.
Le roman est un policier, ce qui doit vous éclairer sur le degré d’objectivité avec lequel j’écris cette chronique, car je n’aime pas le genre. Mais j’ai pris la peine d’aller jusqu’au bout.
Le personnage principal est un gardien de l’ordre depuis peu, et il est malmené par ses supérieurs d’une manière sympathique, car cela malmène le lecteur du même coup et imprime un rythme à l’histoire. Cela nous fait découvrir la police londonienne, même si l’intrigue n’est pas née d’une hard documentation ; rien n’est prévalent, tous les aspects du roman sont à la solde du divertissement, et rien n’est éblouissant. Mais ne sautons pas trop vite aux conclusions.
Dans ce décalage temporel imbibé de flics, un fantôme va surgir. Oui, un fantôme, juste un être au travers duquel on peut voir. La transition dans le monde de la magie est propre, mais simple. Toutefois, c’est le point de départ de l’affliction qui nous guette. Le marketing du quatrième de couverture tente de nous convaincre que le style d’Aaronovitch est un mélange de Doctor Who et de X-Files, mais en réalité, c’est juste une ligne de crête moche entre les deux. Au moins cela annonce-t-il la couleur de l’absence totale d’originalité de l’auteur.
Les murs de l’histoire se révèlent très tôt être en papier mâché.
— Je suis un sorcier… Comme Harry Potter ?
— (soupire) Non, pas comme Harry Potter ».
Et le reste du dialogue n’aura plus rien à voir. Voilà le genre de trucs auxquels on doit suspendre notre crédulité. Voilà le genre de trucs qui essaye de nous convaincre que Les rivières de Londres sont une création originale, et qu’elle a sa propre manière d’être fascinante. J’y réponds : non. On ne peut pas espérer accrocher le lecteur en admettant qu’on a rien inventé, fût-ce avec toute la candeur du monde.
Le pire est à venir, toutefois, avec les liens qui se font entre le monde de la magie et celui, empirique, de la police (laquelle constitue à peu près tout le reste du monde, mais pourquoi pas). Le passage le plus scandaleux est l’endroit où le personnage avoue croire en la magie (difficile de ne pas y croire quand on a vécu ce qu’il a vécu) à sa collègue pragmatiste. Je conçois qu’il soit fatigant d’inventer des pages et des pages de déni, de doute, à réclamer des preuves avant que les protagonistes sceptiques soient convaincus que ce qu’ils renient existe vraiment… Mais Aaronovitch ne soigne pas le moins du monde la crédibilité du procédé. La collègue pragmatiste est convaincue en deux deux, sans réclamer de preuves ni être un intime du personnage principal.
Sans même parler du surplus de personnages secondaires – que dis-je, tertiaires ! – dont les noms s’embrouillent méchamment, la succession des scènes de crimes (assez jolies, il faut le dire) ne permettent en aucun cas de dissoudre la paresse scénaristique du reste. [Spoiler] Au cœur de l’histoire, la police, incarnée par le charismatique anti-anti-héros métis Peter Grant, découvre que l’enquête sur laquelle repose l’intrigue est intimement liée à une pièce de théâtre se déroulant sur la durée autour d’eux. La police décide de jouer volontairement des rôles de cette pièce (qui ne se joue nulle part ailleurs que dans le grand théâtre abstrait de la vie) afin de s’y introduire et de la démanteler. [Fin spoiler]
Je n’ai toujours pas compris comment c’est supposé marcher, mais soit : je vais accrocher mon incrédulité au piètre protagoniste qui sert de point commun avec l’œuvre de Lovecraft (cf. introduction) : le personnage central est médiocre pour mieux recevoir le trop de brillance des autres (néanmoins, c’est un procédé que j’utilise dans mes nouvelles aussi).
Et là aussi, catastrophe : cette idée, qui est la Grande Idée du bouquin, ne choque personne. Pourtant elle est bancale, et je vois mal le lecteur le plus confiant dans le talent d’Aaronovitch ne pas admettre qu’elle n’est absolument pas censée fonctionner.
En gros, Les Rivières de Londres, c’est ça. Une bouillie policière sans crédibilité, sans approfondissement, où le rapport à la magie reste frustrant (c’est-y une science, c’est-y pas une science ?), où les personnages agitent leur science infuse à des fins policières et magiques qui rentrent bien dans le moule de ce que le public adore. Mais il y a des auteurs qui rentrent dans le moule et qui font ça bien (Rick Riordan, par exemple). C’est un roman qui décevra les fans du style policier bien rodé tout comme ceux de la magie dans le monde moderne.
En plus, il y a un délire que je n’ai absolument pas compris, et qui consiste à faire du protagoniste un lubrique auquel se frottent les poitrines de toutes les filles. Est-ce que l’auteur voulait nous expliquer que son personnage accède si facilement à la magie parce qu’il est lui-même un satyre ? Je ne trouve en tout cas pas de meilleure métaphore pour justifier la tension sexuelle latente qui vient pourir la trame de l’histoire de ses émanations passives. Autant de choses qui sont, je suppose, censées faire tenir le lecteur en haleine pour la suite de la série, mais très peu pour moi ; la série m’a perdu, je ne serai pas son lecteur.
Quantième Art