Le Cycle des Robots d'Isaac Asimov est un classique incontournable de la science-fiction, dans lequel le maître du genre met en scène des robots et les fameuses trois lois de la robotique qui régissent leur comportement :
Première Loi : Un robot ne peut porter atteinte à un être humain ni, restant passif, laisser à cet être humain exposé au danger.
Deuxième Loi : Un robot doit obéir aux ordres donnés par les êtes humains, sauf si de tels ordres entrent en contradiction avec la Première Loi.
Troisième Loi : Un robot doit protéger son existence dans la mesure où cette protection n'entre pas en contradiction avec la Première ou la Deuxième Loi.
En sous-texte, l'auteur questionne ce qu'il appelle lui-même le "complexe de Frankenstein" (dont il est fait mention dans la préface des Robots) : référence à Frankenstein ou le Prométhée moderne, le roman de Mary Shelley, ce concept désigne la propension des auteurs et lecteurs à voir le progrès et les découvertes scientifiques comme source d'effroi ou de peur.
Dans le roman de Shelley, le docteur Frankenstein est "puni" par sa volonté toute prométhéenne d'usurper le pouvoir créateur de Dieu. Et le progrès scientifique, qui lui permet de créer le "monstre", agit comme l'instrument de l'hybris de l'Homme et de sa destruction. C'est par la science que l'être humain enfreint, transgresse et conduit l'humanité à sa perte ; c'est par la science que l'Homme crée le monstre de Frankenstein, les bombes, les armes de destruction massive... et les robots destructeurs. La figure du "savant fou", qui émerge peu à peu après la Première Guerre Mondiale, illustre bien cette idée d'une science prométhéenne et néfaste pour l'Humanité. Or, Asimov, scientifique de formation, ne peut que rejeter en bloc cette angoisse du progrès.
Soi-dit en passant, notre Isaac, tout "génie" qu'il est, est aussi d'une misogynie crasse et ne cache pas son mépris pour Mary Shelley : car, au-delà du "complexe" qui porterait le nom de son oeuvre, l'autrice aurait, selon Asimov, volé la vedette à son mari, Percy Bysshe Shelley, comme il l'écrit dans la préface des Robots :
Imaginez un grand homme de lettres d'une réputation considérable [...]. Imaginez qu'il soit le mari d'une femme - une petite bonne femme - douée elle aussi d'un joli brun de plume, mais qui ne puisse bien-sûr se comparer à son grand, à son magnifique époux [...]. Imaginez encore qu'en conclusion d'un entretien, la petite femme en question propose d'écrire elle-même un roman : "Mais bien entendu, ma chère, faites donc !". La petite femme écrit son roman. Il est publié et voilà qu'il rencontre un succès colossal. Par la suite, si le Grand Homme ne perd rien de sa gloire universelle, c'est tout de même le roman de la petite femme qui reste le mieux connu.
C'est presque comique : Asimov a passé sa vie à se projeter, à imaginer ce qu'il adviendrait de l'Humanité dans des milliers d'années, réfutant le cliché d'une science destructrice... par contre les "petites bonnes femmes" qui volent la vedette aux "Grands Hommes", ça va bien deux minutes... Mais je m'égare.
C'est donc contre cette idée, ce refus du progrès scientifique, qu'Asimov lutte, consacrant un sous-genre de la science-fiction plus réaliste, moins fantasmagorique. Et au cœur de sa démarche, on trouve ces trois lois de la robotique : non, les robots ne sont pas une menace, car leur cerveau positronique est imprégné de ces lois qui leur interdisent, par ordre d'importance, de porter atteinte à un être humain, de désobéir à un humain et de menacer, par leurs actions, leur propre intégrité.
Gentil robot
Toutes les nouvelles du recueil et, au fond, tout le Cycle des Robots reposent sur ce procédé : un robot dysfonctionne ou agit de façon étrange, les spéculations vont bon train sur le pourquoi du comment de ces anomalies, l'inquiétude monte peu à peu : Est-ce que ces défaillances ne témoigneraient pas d'un manque de fiabilité, voire même d'une dangerosité des robots ?
Et Asimov de désamorcer finalement en apportant, toujours, une explication rationnelle à ces dysfonctionnements. En bref, l'auteur n'en démord pas et n'en démordra jamais : non, les robots - et le progrès scientifique - ne sont pas une menace, car les trois lois de la robotique préviennent de tout dangers.
Ces Lois de la Robotique agissent donc comme un horizon indépassable, ce par quoi Isaac Asimov déconstruit le complexe de Frankenstein en prouvant que, non, le progrès scientifique n'est pas un danger ; qu'il sera même, d'une certaine façon, le salut de l'Humanité.
En découle une œuvre rafraîchissante, bousculant les codes par anticipation : cette science-fiction à grand suspense que l'on ne connaît que trop bien, aux IA dangereuses se retournant contre l'humanité, Asimov la prend à rebours et vient nous dire que, si une catastrophe doit arriver, c'est de l'Homme que l'erreur viendra et des robots que viendra le salut du genre humain.
Et ce qui n'est qu'en germes dans ce tome 1 sera encore mieux exploité à partir du 2 et de la relation entre l'inspecteur Bailey et R. Daneel Olivar, son comparse robotique.