Devenu médecin, le narrateur Libero Solimane revient à Ogliano, son village natal. La vue, sur les hauteurs, du pallazzo Delezio désormais abandonné aux ronces et à la décrépitude, le replonge dans la tragédie survenue ici, l’année de ses dix-huit ans.


Cerné par le massif de l’Argentu dont les montagnes le dérobent au monde tout en lui fermant l’accès à la Méditerranée toute proche, soumis aux bourrasques du libeccio bien connu des Corses et des Italiens, Ogliano, oublié du temps, semble toujours vivre comme au siècle dernier, selon les lois d’autant plus immuables du patriarcat et de la féodalité, que personne ne se risquerait à troubler l’omerta qui pèse sur cet assemblage de clans et de lignées soigneusement cloisonnés entre pauvres et riches, mais aussi par les haines rancies, la vendetta, et, de plus en plus, par les dérives mafieuses.


La violence est partout et le sang prompt à couler, selon cette loi du plus fort qui prend le dessus dès que la justice et le droit ont le dos tourné. Une violence qui n’en finit pas de ricocher, chaque mort en appelant une autre, dans une inextricable escalade que chacun subit dans la douleur et le silence. Dans ce contexte de tragédie grecque qui leur rappelle l’Antigone de Sophocle dont ils ont fait leur référence, Libero - de père inconnu - et son ami Raffaele – fils héritier du baron Delezio qui règne en maître sur le village – rêvent passionnément de justice. Ils vont apprendre qu’il n’est toutefois pas facile de démêler les culpabilités, qu’après tant d’iniquités, de violences et de torts infligés de toute part, le choix entre le bien et le mal n’est plus manichéen, qu’on peut même faire le mal pour un bien, et que, dans cet imbroglio dont ils vont peu à peu, au fil d’aventures qui mettront leur vie en péril, découvrir les insoupçonnables imbrications secrètes, les motivations des pires tueurs peuvent au final avoir trait à l’amour et à l’honneur.


Menée de main de maître par une auteur habituée des romans policiers, la narration joue avec efficacité de la curiosité du lecteur, entre vieux secrets de famille, poursuites dans le maquis et règlements de compte dont l’ensemble forme un tableau très plausible que l’on croirait tout droit sorti d’une Corse ou d’une Italie qui auraient troqué la féodalité seigneuriale contre celle de la mafia. Mais la plume, d’une grande beauté, d’Elena Piacentini ne se contente pas de nous tenir en haleine et de nous plonger dans des paysages méditerranéens avec une puissance d’évocation qu’expliquent sans doute ses origines corses. Alors que, dans ce drame, meurtriers ou victimes, tous ploient sous l’héritage d’une même et vieille douleur, cristallisée en haine et en désir de vengeance, elle nous interroge, au-delà de la peur et du sentiment d’impuissance, sur les moyens - et le courage – de briser ce fatal engrenage. Une gageure qui a déjà coûté la vie de bien des juges, et qui ne rend que plus admirable le sacerdoce de ceux qui, contraints de vivre sous protection, poursuivent leur mission coûte que coûte. Ce sont eux qui permettent l’espoir. Coup de coeur.


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Cannetille
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le 1 nov. 2022

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