C’est le livre de la mer, du petit peuple qui vit accroché à ses récifs, et c’est aussi le roman de cette vertu sublime que l’on nomme persévérance.
Ce livre raconte l’humanité des bords de mer : aventuriers véreux ou honnêtes, mais toujours ambitieux ; bouges sombres où s’entassent les âmes perdues amenées là par les vents contraires en attendant de disparaître au large ; et ces guinguettes de marins où un vieux capitaines à pipe, tel le phare qui avertit des dangers, lance ses sentences à qui veut les entendre : ne prenez pas la mer aujourd’hui, la houle et les vents seront mauvais, je l’ai vu à la couleur des fleurs, à l’heure tardive du chant du coq et au vol des oiseaux marins !
La mer, tel le grand architecte, fait et détruit les fortunes.
C’est ainsi qu’un jour celle d’un armateur vint se fracasser sur un écueil, formé de deux colonnes de granit noir, entre saint Malo et Guernesey : « les deux rochers, tout ruisselants encore de la tempête de la veille, semblaient des combattants en sueur » …
Figurez-vous alors que pour une promesse de mariage, un homme singulier, un misanthrope qu’on dit sorcier des mers, survint pour aller sauver les débris de cette réussite échouée dans l’océan. Pendant mille nuits et mille jours, il livra une bataille inouïe aux titans des océans.
Gilliatt, c’est son nom, a les tempêtes pétrifiées sur son visage : « on ne se mêle pas impunément à l’océan, à la tempête et à la nuit ; à trente ans, il en paraissait quarante-cinq. Il avait le sombre masque du vent et de la mer ».
Animé d’une flamme superbe, avec une volonté qui luisait dans ses yeux, Gilliat nous donne une leçon pour le restant de notre vie : « les opiniâtres sont les sublimes. Qui n’est que brave n’a qu’un accès, qui n’est que vaillant n’a qu’un tempérament, qui n’est que courageux n’a qu’une vertu ; l’obstiné dans le vrai a la grandeur. Presque tout le secret des grands cœurs est dans ce mot : perseverando. »
Cette aventure extraordinaire expose la beauté terrible de l’océan dans une extase descriptive qui révèle une étonnante poésie des images ; mais une poésie tragique qui continue à résonner au plus profond de notre âme bien après que le livre ait été refermé.
« Et cependant voilà des siècles innombrables
Que vous vous combattez sans pitié ni remord,
Tellement vous aimez le carnage et la mort,
Ô lutteurs éternels, ô frères implacables ! »