Guernesey dans les années 1820, Gilliatt est un brave type solitaire, tellement solitaire qu'il est mal considéré par la plupart des autres îliens qui voient en lui un sorcier, ainsi qu'un marin très aguerri qui est amoureux de Déruchette, la nièce d'un riche armateur Mess Lethierry, propriétaire de la "Durande" bateau à vapeur à une époque où la voile règne encore incontestablement. Quand celui-ci est échoué par une machination d'un capitaine malhonnête, le sieur Clubin, sur le redoutable écueil Douvres, Mess Lethierry promet la main de sa nièce à quiconque rapportera le moteur de l'engin, encore miraculeusement intact. Gilliatt accepte le défi...
Ecrire une critique sur une oeuvre de celui qui est considéré comme notre plus grand écrivain national n'est pas forcément la chose la plus aisée au monde, partagé qu'on est entre le plus profond respect par rapport à la légende qu'il est et l'envie de se montrer le plus objectif possible. Bien évidemment, l'objectivité l'emporte, c'est un devoir, mais comme elle n'égratigne pas trop la légende on n'a pas l'impression de commettre un crime de lèse-majesté...
D'une oeuvre romantique, dans le sens littéraire du terme bien sûr, écrite par celui qui est considéré comme le chef de file du romantisme en France, il faut s'attendre à de l'audace. Et de l'audace, on en a. De l'audace qui se retrouve dans un lyrisme sans limite. Dans un lyrisme sans limite un peu lourd, comme tel chapitre d'une vingtaine de pages où il écrit pour ne absolument rien dire ou encore le dialogue nocturne entre Déruchette et le pasteur incroyablement ampoulé, mais heureusement surtout sublime, là dans tous les sens du terme. La description de la pieuvre ou encore le moment où Sieur Clubin, qui aux yeux de ses concitoyens a toujours montrer l'attitude la plus probe au monde, découvre enfin son véritable visage sont véritablement fabuleux.
Mais pour en revenir à l'audace, on ne peut pas oublier de souligner la deuxième des trois parties du roman où on a notre protagoniste, Gilliatt donc, face à la mer et à ses éléments. Pas de dialogues, pas d'autres personnages qui interviennent, juste Gilliatt et cette fichue mer et ses fichus éléments. "Robinson Crusoë" sur un écueil... Gilliatt, personnage auquel on n'a aucun mal à s'attacher et s'identifier.
Cette oeuvre de Victor Hugo, de la légende Victor Hugo, rédigée pendant son exil, à Guernesey évidemment, Les Travailleurs de la mer, pour bien évidemment la nommer, est assez méconnue dans la carrière de son auteur. Il est vrai qu'il est difficile d'exister réellement sous les ombres écrasantes de Notre-Dame de Paris et des Misérables. Mais pourtant quelle puissance dans ces lignes, quel incroyable mélange des genres entre romantisme, naturalisme, roman d'amour, roman d'aventure maritime (le combat avec la fameuse pieuvre, "qui n'a pas de masse musculaire, pas de cri menaçant..." qui a inspiré un certain Jules Verne pour Vingt mille lieues sous les mers !!!). Non, il y a pas à dire, Victor Hugo c'est Victor Hugo...