A la suite du coup d’état de Napoléon III en décembre 1851, l’écrivain Victor Hugo décide de partir en exil. Anciennement fervent défenseur du neveu de Napoléon Ier, Hugo se montre de plus en plus hostile envers son ancien allié, devenu Président de la République. Hugo s’établit tout d’abord dans l’île de Jersey, y restera 3 ans, mais sera contraint de fuir l’île après avoir critiqué la reine Victoria. Il arrive ainsi, en 1855, sur la petite île de Guernesey où il résidera près de 15 ans. C’est dans cette période qu’il écrira son ode la mer et aux habitants de Guernesey, Les Travailleurs de la mer.
Le livre est composé de deux parties, Les travailleurs de la mer et L’Archipel de la Manche. L’Archipel de la Manche, une sorte de mise en bouche d’une centaine de pages, immerge le lecteur dans l’ambiance de ces îles inhospitalières, fouettées par le vent et assaillis par les marées. Ce livre décrit les us et coutumes de Guernesey, Jersey et Serk ainsi que l’histoire de cet archipel qui n’est ni tout à fait anglais, ni tout à fait français. Le décor et ainsi planté. Place aux travailleurs de la mer.
Le texte d’Hugo s’ouvre sur une courte introduction écrite par l’auteur
La religion, la société, la nature ; telles sont les trois luttes de l'homme. Ces trois luttes sont en même temps ses trois besoins ; il faut qu'il croie, de là le temple ; il faut qu'il crée, de là la cité ; il faut qu'il vive, de là la charrue et le navire. Mais ces trois solutions contiennent trois guerres. La mystérieuse difficulté de la vie sort de toutes les trois. L'homme a affaire à l'obstacle sous la forme superstition, sous la forme préjugé, et sous la forme élément. Un triple anankè règne sur nous, l'anankè des dogmes, l'anankè des lois, l'anankè des choses. Dans Notre-Dame de Paris, l'auteur a dénoncé le premier ; dans Les Misérables, il a signalé le second ; dans ce livre, il indique le troisième. À ces trois fatalités qui enveloppent l'homme, se mêle la fatalité intérieure, l'anankè suprême, le cœur humain.
L’anankè est la personnification du caractère inéluctable de la destinée, c’est-à-dire la fatalité. Dans Les Travailleurs de la mer, le destin de Gilliatt, le personnage principal, est tiré au cordeau. On devine rapidement que l’issue ne peut être que tragique et Hugo ne se prive d’ailleurs pas de semer des indices tout le long du livre.
Mess Lethierry est un homme important à Guernesey. Son bateau est unique, il s’agit de la Durande, un bateau à vapeur dont le capitanat est confié au sieur Clubin. Malheureusement, celui-ci fait échouer le précieux navire sur l’écueil des Douvres. Apprenant la nouvelle, Lethierry promet la main de sa nièce Déruchette, qu’il a élevé comme sa propre fille, à l’homme qui réussira à ramener la machine de son navire. Cette promesse pousse Gilliatt à tenter l’impossible et à se rendre sur l’écueil. Gilliatt est un homme bon, solitaire, ingénieux et éperdument amoureux de la Déruchette. Les habitants de l’île l’ont affublé dans un surnom, Gilliatt le Malin. Tel un naufragé, Gilliatt va vivre pendant deux longs mois sur le récif afin de réussir à dégager la machine de la Durande et la ramener à bon port. Ce défi aura comme apothéose le formidable combat entre l’homme et la tempête qui frappera pendant un jour entier les Douvres.
Victor Hugo est un virtuose des mots. La richesse de son vocabulaire n’a d’égal que sa capacité à narrer une histoire. L’utilisation intensive du vocabulaire maritime donne l’impression d’écouter le récit d’un vieux marin le soir au coin d’un feu. Le livre, digne des grandes tragédies grecques, est une belle déclaration d’amour à la nature et à l’humilité de l’homme face à la puissance de celle-ci.