Trois soeurs et les mêmes larmes
La vie, quoi que l'on en pense, a toujours ses victimes, ses jouets. Objet du malheur, une expression si juste. Ici, les victimes sont trois sœurs. Trois tempéraments. Trois faiblesses.
Leur frère Sergueï, Moscou, l'amour auront peu à peu raison d'elles. Cette pièce de Tchekhov n'est que la longue agonie qu'elles vont vivre, la désillusion leur sera à la fin fatale. Il est beau d'assister,au calme et ce en tournant les pages, à la souffrance ainsi exposée, de se délecter de ces comportements fragiles, humains.
Et pourtant si cela ne vous suffit pas, n'ayez crainte. La construction de cette pièce est subtile et imposante. Le début s'il est surprenant de légèreté amorce encore plus la déchéance de ce petit univers russe.
On se prend donc à rêver de Moscou, de s'y installer, on philosophe sur le sens de la vie. Certains ont même l'envie de travailler. D'espoir, c'est ainsi qu'on pourrait qualifier les pensées initiales de nos personnages. Et pourtant, nous savons déjà que le malheur n'est pas loin. Macha apparaît en noir au premier acte. Un signe troublant.
Puis peu à peu, alors que la maison prend vie en voyant passer les agents de la Brigade Touzenbach,Soliony, les amours naitre, les premières fêlures transparaissent violemment. L'origine de ces dernières est en fait très paradoxale puisque ce sont les brigadiers et l'amour mêmes qui en sont à l'origine. Si les lieutenants ont animé la maison des Prozorov, ils la brisent définitivement quand ils sont alors transférés dans une autre ville. L'amour celui-là même qui insufflent la vie à ces trois sœurs, les enterrera à tout jamais. Chez Tchékhov on joue des contrastes. On les malmène jusqu'à ce qu'ils ne fassent qu'un ; où bonheur et malheur sont indifférenciés où existence et dépression n'entretiennent plus de frontières. Un jeu fascinant, destructeur.
Trois sœurs, c'est aussi une critique acerbe des désirs. On ne désire pas, on se plie au destin. Nulle exception n'est permise quoique les conséquences de ce destin soient puissamment néfastes. Lire du Tchékhov, c'est donc réjouissant, c'est une approche nouvelle et surprenante du drame sans pour autant s'éloigner de la tragédie grecque. Une expérience pour le moins très recommandable !