Une fois refermé, j'ai vu que mon livre était plein de tâches - huile, thé, café - et de pliures, qu'il était écorché : j'ai pensé à sa chair et à son sang d'objet, retourné cent fois dans mes mains et dans mes yeux et j'ai eu cette décharge sucrée de nostalgie et de joyeuse tristesse que de très rares livres provoquent. Je n'ai sans doute pas tout aimé dans le détail des Vagues, mais ce livre est fidèle à son titre. Quand, enfant, nous allions dans les vagues avec mon cousin, l'activité principale consister à attendre le plus gros rouleau pour y glisser et nous étions, jusqu'à la taille, à regarder vers le large et à dire, toutes les deux minutes : "regarde ! la prochaine !" et la prochaine arrivait, plus molle et moins haute qu'espérée, et nous recommencions. Deux heures pouvaient passer ainsi dans l'attente d'une vague assez large et forte pour nous emporter. Ce livre m'a fait la même chose - parfois, l'attente se prolongeait et je pensais : "la prochaine page, la prochaine page qui arrive !" et je continuais et, si rien ne venait, j'avais tout de même attendu et je m'étais baigné dans cet eau. J'ai eu, en terminant le livre, cette sorte d'angoisse du temps échappé et qui ne reviendra pas, que je ressentais quand nous étions appelé, mon cousin et moi, par ma tante qui nous attendait sur la plage. Il fallait rentrer. Les Vagues est un livre dont on sort en ayant le sentiment d'avoir été, d'une manière ou d'une autre, définitivement mouillé par son eau et que l'on voudrait relire à peine achevé.