Considéré par nos voisins britanniques comme l'un des must de leur patrimoine littéraire, j'avais depuis longtemps le projet de découvrir "Les vestiges du jour" autrement que par la superbe adaptation cinématographique de James Ivory (l'un de mes réalisateurs favoris) avec Emma Thompson (l'une de mes actrices favorites) en tête d'affiche.
C'est désormais chose faite.
A travers le "périple" en automobile dans la campagne anglaise de Mr. Stevens, le majordome plein de dignité de Darlington Hall - l'une de ces demeures aristocratiques anglaises qui n'ont plus de secret pour le grand public depuis la série Downton Abbey -, le lecteur est invité à pénétrer les souvenirs du vieil homme et à entrer ainsi dans la coulisse où s'activaient sans relâche les dizaines de domestiques nécessaires à l'entretien et à l'activité d'une telle maisonnée.
Des poignantes réminiscences tout en nostalgie et en servile fidélité de Mr. Stevens surgissent les enjeux non seulement sociaux mais aussi politiques d'une telle agitation, ou plutôt d'un tel ordonnancement. Si l'Europe continentale a jamais été réputée pour la rigueur de ses étiquettes protocolaires, les traditions anglaises en la matière, soigneusement répercutées dans chaque demeure de gentleman-farmer, squire, baronnet ou lord de l'Empire britannique, n'avaient rien à leur envier.
Par le prisme de Mr. Stevens, c'est toute la mentalité anglaise qui se dévoile pour ainsi dire : le fameux sang-froid (ou "dignité"), le sens de l'honneur (sauce "Shakespeare"), l'humour (à servir froid) et les préjugés (pour assaisonner). Au-delà de ce décor d'office et de cuisine, c'est également le portrait touchant d'un homme qui passe innocemment à côté de sa vie d'homme ; une existence consacrée à son "maître" et qui éclipse d'elle-même les émotions annexes telles que la séduction, la tendresse et l'épanouissement personnel.
Malgré quelques longueurs - notamment sur les considérations de Mr. Stevens quant à son niveau de "dignité" -, on se prend très aisément au jeu et on goûte le style collet-monté, le contexte de l'entre-deux-guerres et l'imagerie marquante de cette horde de subalternes affairée de l'aube au coucher du soleil, telle une ruche en perpétuelle révolution.
Une belle lecture qui, je le pense, me marquera durablement.