Voici le roman d'une grande virtuosité psychologique qui a inspiré le très beau film du même nom de James Ivory avec Anthony Hopkins dans l'un de ses plus beaux rôles.
Le personnage qui s'exprime à la première personne est le majordome du domaine Darlington Hall appartenant à une très ancienne famille anglaise. Il a servi pendant de nombreuses années Sa Seigneurie Lord Darlington avant que le domaine ne passe aux mains d'un américain, Mr Farraday, vainqueur après la guerre d'un nouveau monde qui n'a que faire de l'élégance et de la bonne éducation.
Ce majordome, Stevens, est un modèle du genre, maîtrisant l'art de servir, de rester à sa place, de gérer parfaitement les employés et le manoir, fonction dont il est tout imprégné de la noblesse et dont il recueille humblement le prestige attaché à la personnalité influente à laquelle il est attaché.
Toute la saveur du roman se situe dans la beauté et la maîtrise d'une langue qui sait subtilement dire mais aussi taire, cacher. Le lecteur recueille les paroles de Stevens mais est aussi amené à voir tout ce que sa bonne éducation lui interdit de voir, tout ce qu'il a aussi étouffé en lui pour atteindre à la perfection de son service. En particulier, il maîtrise parfaitement ses réactions et ses sentiments, comme il se doit. Son père majordome auquel il succède et auprès duquel il a beaucoup appris, vient-il à mourir ? Il ne peut se permettre de manquer à son service et s'occupe avec déférence d'un invité politique important le sollicitant parce qu'il a mal aux pieds pendant que son père expulse son dernier souffle. On suit avec effarement et intérêt ses relations avec Miss Kenton, la gouvernante. Des sentiments naissent entre eux, vite réprimés par Stevens pour le bien du service. Souffrance retenue, maîtrise de soi, et finalement dont absolu de sa vie sont impératifs pour exercer son service à la hauteur de son maître. Celui-ci prend-il des décisions injustes comme renvoyer des domestiques juives, il faut adhérer, exécuter l'ordre et refouler ce que la décision a d'injuste. En filigrane, on suit l'évolution politique de Lord Darlington qui essaie avant la Seconde Guerre mondiale de rapprocher les hauts fonctionnaires anglais des dirigeants nazis, guidé par la volonté de bien traiter un ennemi dont il s'aveugle sur la dangerosité.
Au seuil de la vieillesse Stevens entreprend un voyage pour aller visiter Miss Kenton qui a quitté le manoir et s'est mariée. Voyage initiatique où il connaît enfin la détente, où on le regarde enfin pour lui-même - mais aimera-t-il ce qui sera ainsi dévoilé?. Il fera lors de cette rencontre un bilan de sa vie, lui qui peine à satisfaire son nouveau maître américain, ce nouveau riche au seuil d'un monde nouveau, qui attend de lui ce qu'il n'a jamais appris et qu'il appelle le badinage; peut-être constatera-t-il qu'il n'a rien appris de la vie, qu'il l'a passée comme un fantôme, une sorte de robot dont le travail et le devoir a remplacé la vie...
Un beau roman que je conseille sur l'illusion, l'aveuglement et l'esclavage volontaires, le poids des conventions ou comment on peut ne pas vivre sa vie.