Les Lettres de mon moulin ont littéralement bercé mon enfance. Minot, alors même que le déchiffrage des lettres m'était inconnu, j'étais pourvu de cassettes audio déclamant les "meilleures histoires" des Lettres de mon moulin, le tout avec la musique de Bizet par dessus. Je faisais tourner en boucle la cassette du Secret de Maitre Cornille, des Trois messes bassses, de la Mule du Pape, de La chèvre de Monsieur Seguin.
Puis j'ai découvert les quatre adaptations de Marcel Pagnol pour le cinéma, avec notamment une performance d'acteur dans l'adaptation du Curé de Cucugnan, qui me laisse encore aujourd'hui un souvenir vif (Un acteur seul incarnant le fameux curé aranguant ses ouailles, racontant sa visite du paradis et de l'enfer... L'imagination se superposant à l'image...)
Enfin, j'ai appris à lire. Forcément, j'ai bondi sur les histoires que déjà je connaissais par coeur, m'en délectais, habiter en Provence à l'époque renforçant l'attrait du jeune lecteur que j'étais.
Je suis allé voir ce fameux moulin, comme un pélerin intimidé, et j'étais habité d'une véritable ferveur à frôler ces pierres sacrées...
Et puis j'ai grandi, je suis passé d'autres lectures... Pour m'y replonger plus tard, doté d'un esprit plus méfiant, moins émerveillé. Alors oui, certaines histoires fleurent bon le racisme de l'époque, mais bon, on s'acclimate comme on peut à la mentalité d'un autre temps. Surtout, j'ai (re)découvert certaines histoires, moins emblématiques, plus dures et profondément tristes, avec en point d'orgue, "La Légende de l'homme à la cervelle d'or", qui reste encore aujourd'hui ma préférée.
Au final, Les Lettres de mon moulin, quand on enquête un tant soi peu, c'est du vent, une arnaque complète. Les lettres ont été écrites à Paris et pas dans le fameux moulin, Alphonse Daudet n'est pas l'auteur de toutes les lettres, aurait plagié des contes provençaux... Mais qu'importe, il suffit de feuilleter quelques pages, de saisir au vol cette prose et la magie opère de nouveau.