Oui, Mariane, la soi-disant auteur des Lettres portugaises, c'est moi, moi il y a quelques années. Quand je balançais au sujet de l'amour, quand je ne vivais que pour cela, quand mon âme était passionnée, torturée et que je ne faisais que me détruire de l'intérieur stupidement. Oui, j'ai vécu ces douleurs du premier amour, sans exagération.
Alors Mariane, c'est l'image fine, terrible, à la fois idéaliste et extraordinairement lucide de la jeune femme en proie à un amour désespéré. C'est court, c'est tragique, et on suit facilement les évolutions de pensée de notre belle éplorée. C'est un peu l'apprentissage de la vie résumé en cinq lettres. L'illusion, la chute, l'horreur, les larmes infinies, le temps qui passe, la réflexion et la sagesse de la femme qui prend le dessus mais qui, fragile, manque à chaque instant de basculer encore une fois.
Un portrait qui suinte le vécu, le naturel - d'où le fait qu'on ait pendant plusieurs siècles cru à de véritables lettres et non pas à une oeuvre de Guilleragues, longtemps présenté comme simple traducteur -, et c'est d'autant plus époustouflant quand on sait que l'écrivain est un homme. On me dira peut-être que ça dégouline, que ce n'est plus comme ça aujourd'hui, que les hommes aussi connaissent la passion. Peut-être, je ne sais pas, je m'appuie sur ce que je sais. Et il me semble qu'il y a quelque chose de tout féminin dans les Lettres portugaises, un goût particulier, une synthèse réussie entre réalité et fiction. J'ai eu l'impression de lire les billets d'une grande dame à son amant, venus d'une autre époque mais authentiques. On replonge avec délices dans un autre temps, dans les égarements de la jeunesse si méprisables mais si charmants.
Bref, tout ça pour dire que c'est un pas dans la littérature que cette courte oeuvre épistolaire de fin XVIIe, et que vu son accessibilité, on ne va pas s'en priver. Et vous serez bien insensibles si, comme l'amant malhonnête, vous n'êtes pas un peu touchés par les déboires et monologues insoutenables de la fragile (et point sotte) Mariane.