Libres d'obéir, contrairement à ce qu'indique le sous-titre, n'est pas une étude du management du nazisme à aujourd'hui mais plutôt une étude sur le management nazi et particulièrement l'influence de Reinhard Höhn, un (ancien) nazi, sur la discipline, puisqu'après Hitler, il enseignera le management aux jeunes et dynamiques cadres allemands.


C'est le premier livre que je lis de Chapoutot, et la note que je lui accorde tient surtout au travail de synthèse brillamment mené par l'auteur. En moins de 150 pages, la messe est dite. Chapoutot fournit ce qu'il faut de contexte, et surtout de contexte mental, pour appréhender ce management à la Höhn (notamment les chapitres consacrés à l'État -en l'occurrence la disparition de celui-ci- et à la mythologie nazie de la liberté germanique que j'ai bien apprécié).


Pour résumer le propos, l'idée principale de ce management selon Höhn, c'est de donner un objectif quelconque à un sous-fifre mais de le laisser se demerder quant à la manière de l'accomplir. Inspiré par l'armée prussienne, cette méthode permet de déléguer à l'étage du dessous une partie des responsabilités chose somme toute relativement utile puisque si l'objectif n'est pas atteint, la faute en incombera à la manière, donc au couillon en bas de l'échelle.


Chapoutot montre que Höhn ne pouvait pas être taxé de girouette puisque sa conception du management n'a guère changé entre ses années nazillons et son enseignement après-guerre. On retrouve donc ce côté participatif avec un collaborateur et non pas un subalterne (exit ainsi la lutte des classes), on a envie qu'il soit productif et pour se faire, on lui propose d'être heureux de travailler dans un superbe open-space avec spa, vue sur la mer, masseuses thaïlandaises, et j'en passe. L'idée n'est pas de dire que le management est un truc de nazi, l'auteur est clair là-dessus, et réussir à lire le contraire révèle de la mauvaise foi mêlée à une imbécillité profonde. Simplement de dire que la méthode de Bad Harzburg (autrement dit, la méthode Höhn) a ceci de moderne qu'elle ne fut pas en contradiction avec notre environnement contemporain, ainsi en atteste l'exemple d'Aldi cité dans le livre.


Pourquoi donc ? Le livre relève que Höhn n'a pas été trop déstabilisé de passer d'une société SS à une société $$ (vanne approuvée par Alexis Corbière), puisque les ressorts profonds en sont les mêmes : la vie est un combat, qu'il soit biologique ou social. C'est précisément ce que relevait Michéa à propos du fondement du libéralisme et on a là une clef pour comprendre les systèmes totalitaires : qu'il soit sans-dents et concurrent, bourgeois, mécréant ou non-arien, bref, une logique où l'autre est par essence un ennemi et généralement le bouc émissaire par excellence de tous les malheurs. Höhn n'a pas eu grand-chose à faire pour passer de l'un à l'autre, il lui a seulement fallut abandonné son discours antisémite, chose qu'il fit aisément, le reste découlant de cette seule logique. Pour qui souhaitait construire des ponts et non des murs, en voici un joli.

Ji_Hem_
8
Écrit par

Créée

le 10 sept. 2020

Critique lue 265 fois

2 j'aime

Ji_Hem_

Écrit par

Critique lue 265 fois

2

D'autres avis sur Libres d'obéir

Libres d'obéir
Bretzville
7

Chapoutot le goupil

Excellent timing de parution ! Ce livre est vraiment réjouissant. Pas pour son sujet, le management et le nazisme, mais pour la puissance qu'il peut avoir dans le débat public, ou plutôt dans...

le 31 janv. 2020

7 j'aime

4

Libres d'obéir
Fwankifaël
6

Ceci n'est pas un point Godwin

L’œil piqué par ce titre aguicheur, j'ai ouvert avec curiosité ce quasi opuscule qui lève un coin de voile sur l'histoire d'un concept qui régit à proprement parler nos vies professionnelles voire...

le 6 juil. 2022

3 j'aime

Libres d'obéir
PhilippeLou
7

Liberté autoritaire du management sous le IIIe Reich et après

Libres d’Obéir est le dernier livre de l’historien spécialiste de l’Allemagne nazie Johann Chapoutot sorti en ce début d’année 2020. Le sous-titre Le management, du nazisme à aujourd’hui m’a...

le 19 févr. 2020

3 j'aime

Du même critique

Jeffrey Epstein : Pouvoir, argent et perversion
Ji_Hem_
3

Qui est Jeffrey Epstein ? Sérieusement, c'est qui ?

Le jeune homme éteint son ordinateur, on est vendredi soir et il ne sortira pas. Peut-être demain, se dit-il. Il soupire. « Déjà 23h ! Misère, ma partie d’Age of Empires II a durée plus longuement...

le 20 juin 2020

7 j'aime

2

Dune
Ji_Hem_
4

« Le dormeur doit se réveiller ! ... monsieur, s'il vous plaît, on va fermer le cinéma ! »

Denis Villeneuve, ou, devrait-on dire, Denis Vieilleville (huhu) tant il semble s’attarder à des projets qu’on aurait dû laisser reposer en paix dans les années 80, après un Blade Runner 2049...

le 22 sept. 2021

4 j'aime

We Are Still Here
Ji_Hem_
1

Se faire traiter de con par un film pendant 1h20

En deux phrases, nous avons à faire à l'un de ces condensé des (vraiment pires) clichés du cinéma d’horreur traités de manières à ce que le spectateur se doive de les prendre au sérieux parmi...

le 2 févr. 2020

4 j'aime