Lorenzaccio
7.3
Lorenzaccio

livre de Alfred de Musset (1834)

Quand le mal du siècle fait feu de tout bois

Lu en Novembre 2021. Ed. LdP. 8,5


C'est mon deuxième Musset, j'avais déjà lu "On ne badine pas avec l'amour" qui ne m'avait pas beaucoup plu, qui m'avait semblé assez gratuit. Je savais d'avance que ce Lorenzaccio est un classique parmi les classiques sans qu'il ne m'ait jamais spécialement attiré, mes expériences avec le drame romantique ayant été… peu dithyrambiques.


Après la lecture du premier acte, l'impossibilité (ou presque) de jouer cette pièce sur scène semble évidente. L'intrigue ne semble pas si complexe en soi mais la multiplicité des points de vue découpe de manière étrange la narration dont les enjeux ne me semblent pas clairement établis. Je suis étonné du caractère grivois de certaines répliques :



"LOUISE : Lâche mon pied, Salviati. JULIEN : Non, par le
corps de Bacchus ! jusqu'à ce que tu m'aies dit quand nous coucherons
ensemble."



Et plus globalement la débauche de cette haute société est une critique assez nette de l'époque de Musset.



"LE CARDINAL ; Bon ! bon ! le duc est jeune, Marquise, et gageons que
cet habit coquet des nonnes lui allait à ravir."



L'anticléricalisme également :



"LE CARDINAL : Rien n'est péché quand on obéit à un prêtre de
l'Église romaine."



Tout est assez limpide en réalité mais il y a beaucoup, beaucoup de personnages.


Le dialogue sur l'art et la religion II-2 est formidable d'éloquence.



"TEBALDEO : Je ne puis faire le portrait d'une courtisane. LORENZO :
Ton Dieu s'est bien donné la peine de la faire ; tu peux bien te
donner la peine de la peindre."



Il se passe moult rebondissements dans l'acte II. Ça part relativement dans tous les sens.
2 clans qui s'opposent, les libertins décadents incarnés royalement par le Duc :



"Bon ! Elle ne fait pas l'amour en latin [...] Je te dis de parler de
moi à ta tante." (II-4)



Les prétendus pieux mais qui assassinent aussi facilement :



"Je me promènerais volontiers l'épée nue, et sans en essuyer une
goutte de sang" (II-5, Pierre Strozzi)




  • Le Vatican qui tente de manipuler tout le monde par le biais du Cardinal qui est un sacré personnage d'ailleurs :



"Prenez garde, Cibo, prenez garde à votre salut éternel, tout cardinal
que vous êtes". (II-3, La Marquise)



Lorenzo est le vrai trublion de l'histoire, il sera celui qui décidera des dénouements :



"Cracher dans un puits pour faire des ronds est mon plus grand
bonheur."



Dans l'acte III, j'ai retrouvé la pâte romantique, ça discute beaucoup, en se plaignant allègrement sur leur condition, Lorenzo et Philippe ont parlé plus de 10 pages ! Lorenzo en a d'ailleurs profité pour parler largement de sa volonté de tuer Alexandre ce qui est quand même marquant parce que nous ne sommes pas dans une tragédie où tout est annoncé d'emblée.
C'est très bien écrit, il y a des phrases d'une grande poésie :



"L'Humanité souleva sa robe, et me montra, comme à un adepte digne
d'elle, sa monstrueuse nudité." (III-3, Lorenzo)



"Dans deux jours, les hommes comparaîtront devant le tribunal de ma
volonté" (Idem)



D'autres très intéressantes politiquement.



"PHILIPPE : Et quand vous aurez renversé ce qui est, que voulez-vous
mettre à la place ? PIERRE : Nous sommes toujours sûrs de ne pas
trouver pire." (III-2)



"Prends garde à toi, Philippe, tu as pensé au bonheur de l'humanité."
(III-3, Lorenzo)



"La vie est comme une cité — on peut y rester cinquante ou soixante
ans sans voir autre chose que des promenades et des palais — mais il
ne faut pas, en rentrant chez soi, s'arrêter aux fenêtres des mauvais
quartiers." (Idem)



Je pense que la phrase :



"Je crois à l'honnêteté des républicains." (III-2, Philippe)



, correspond plus à l'actualité politique de 1836 que à la narration de cette pièce.


Il y a également des répliques qui relèvent de la comédie sans que ça soit hilarant mais c'est plus que surprenant :



"LA MARQUISE : Toi qui ne vas pas à la messe, et qui ne tiens qu'à
l'impôt, es-tu sûr que l'Éternité soit sourde, et qu'il n'y ait pas un
écho de la vie dans le séjour hideux des trépassés ? Sais-tu où vont
les larmes des peuples, quand le vent les emporte ? LE DUC : Tu as
une jolie jambe." (III-6)



C'est encore une pièce où l'élément tragique (ici, l'assassinat du Duc par Alexandre) arrive en avance, c'est à dire dès la fin de l'acte IV. Tout dans cet acte est d'ailleurs allé relativement vite, d'un début d'acte où l'action semblait à peine finie d’être nouée, le crime est commis à la fin.
Il y a de belles phrases mais il y a quand même certaines lourdeurs dans l'expression, notamment chez Lorenzo, mais peut être que cela exprime simplement son trouble.


L'acte V, quoiqu'il ne soit pas très surprenant, reste dans la continuité des précédents. Il y a toujours de très belles phrases qui ont quasiment valeurs de Maximes :



"Le roi de France protégeant la liberté de l'Italie c'est justement
comme un voleur protégeant contre un autre voleur une jolie femme en
voyage. Il la défend jusqu'à ce qu'il la viole" (V-4, Pierre Strozzi).



C'est toujours dynamique, ça part dans tous les sens, avec la scène 5 qui a des allures avant-gardistes en cela qu'elle se rend drôle par l'absurde avec le dialogue du 666 et la rencontre des précepteurs savants et des 2 sales gamins.
Mais aussi la scène 6 qui a certainement inspiré toutes ces scènes de mort de série B :



"ÉTUDIANT : Nous voulons mourir pour nos droits. SOLDAT : Meurs donc.
Il le frappe L'ÉTUDIANT : Venge-moi, Roberto, et console ma mère"



Enfin, Lorenzo, dans son sublime désespoir, dans le mal du siècle romantique:



"À ma mort, le bon Dieu ne manquera pas de faire placarder ma
condamnation éternelle dans tous les carrefours de l'immensité.
PHILIPPE : Votre gaieté est triste comme la nuit."



Lorenzo a gagné, ou du moins il avait raison. Car ce sont les méchants qui ont gagné.
Mais ne sont-ce pas toujours les méchants qui gagnent ? Est ce que ça ne serait pas un des messages de la pièce ?


C'est en tout cas une pièce qui est virevoltante, assez unique en son genre. Comme dit Zola : "Il y a là un drame digne de Shakespeare".
Je suis très curieux de savoir comment ça a été, malgré les contraintes, mis en scène, et ce, dès la fin du siècle ! Je n'irai pas jusqu'à dire que ça me réconcilie avec le drame romantique mais ça me donne de l'espoir et le sourire, à l'inverse de la moralité de la pièce.

Arimaakousei
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le 5 déc. 2021

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