Joli mot qu'écheveau. On imagine tout de suite un enchevêtrement de fils, une pelote tombée, déroulée et mal rembobinée – et dans le même mouvement voilà qu'elle s'offre presque automatiquement au désemmêlement, patient et minutieux. La plaie et le remède mariés. C'est d'autant plus remarquable qu'en fait un écheveau est au départ tout l'inverse : des fils plusieurs fois repliés sur eux-mêmes pour que justement ils restent bien sagement ordonnés jusqu'au moment de servir. La langue est une digue, qui ne peut pas grand chose face aux vagues - si vagues dans leurs desseins mais si précises dans leurs résultats - des faits de langage. Les mots s'emberlificotent eux aussi. Ne nous en plaignons pas trop, c'est de chacun des noeuds qu'ils forment que peut naitre la richesse du sens.
Morizot - philosophe en nature – est pour le coup un penseur éminemment nodal. Sa pensée est rhizomique, faite autant de conjectures que de conjonctures. Et face à l'écheveau de la vie qui s'étale et qui s'offre autour de lui, il s'efforce de fabriquer un peigne d'une douceur exquise, et d'une solidité à toute épreuve : dénouant les complications ici, respectant les complexités là. Fidèle à la lettre sinon à l'esprit de Pascal, visiblement fasciné qu’il est par un univers dont la circonférence est partout et le centre nulle part. Son art – qu'il soit de réflexion ou d'expression, en somme c'est tout un – consiste dès lors à retisser du lien là où la trame a presque disparue, là où les accointances ont presque rendu l'âme. Presque, mais pas tout à fait, pour celui qui sait voir. Morizot nous apprend à regarder.
Et la méthode qu'il choisit n'est pas celle de la doctrine, du dogme, de la leçon de morale. On est plutôt, à pas de loup, du côté de la « leçon de choses » comme on disait avant, si ce n'est que ce terme a des relents terriblement « modernes », qui proclame obstinément que la nature (détestable invention qui ne renvoie à rien) et ses habitants non-humains ne sont que des choses à notre disposition : pour les manger, les collectionner ou les soumettre. On devrait alors peut-être dire une leçon d'être, une leçon d'êtres. Ontologie vivante, ontologie vibrante, où être ne peut se faire qu'à plusieurs. Ensemble, les autres vivants et nous. Sauvages pareils, hétérogènes pareils, existants pareils, désirants pareils, et heureusement, heureusement, si différents pareils. Il n'est question face à ce labyrinthe ni de promulguer, ni de conclure, ni d’ordonner, mais de fouiller, de mettre en relation, de cohabiter, de se réconcilier. Avec les autres, tous les autres. Et partant, avec nous-mêmes, tant qu’il est encore temps.