Pour être venu en aide à un jeune homme de bonne famille qu'il a défendu contre des voyous, Martin Eden, jeune marin mal dégrossi et amateur de boisson, se trouve projeté dans un monde d'élégance et de culture qui l'intimide avant de l'attirer irrésistiblement en la personne de Ruth Morse.
"Il évoqua le pathétique Martin Eden de ce soir-là, le sauvage embarrassé de lui-même, suant l'appréhension par tous les pores, affolé devant les mystères de la bienséance, médusé par le maître d'hôtel qui lui faisait l'effet d'un ogre, s'essayant à franchir d'un seul coup le gouffre énorme qui le séparait de ces êtres supérieurs et se décidant enfin à demeurer lui-même et à ne pas singer plus longtemps une éducation qu'il n'avait pas."
Pour gagner son coeur, Martin Eden va opérer une transformation radicale de son esprit et de son être. "Son amour pour elle l'empêchait de bien la comprendre et elle ne pouvait pas le comprendre parce qu'il lui était trop supérieur."
Autodidacte insatiable, il va s'initier seul aux disciplines scientifiques les plus ardues avant de jeter son dévolu sur la littérature et de se mettre en tête de vivre de sa plume. S'abrutissant de travail, écrivant et lisant jour et nuit, refusant de s'avouer vaincu face aux pires humiliations que lui réservent son entourage et les éditeurs du pays entier qui refusent de croire en lui —« Ce n'est pas dans le succès d'une oeuvre qu'on trouve sa joie mais dans le fait de l'écrire", lui dira son seul ami, Brissenden. "Vous vous tuez à essayer de prostituer la beauté et c'est tout »— sa volonté brute n'a d'égale que son absence totale d'abnégation. Qu'à cela ne tienne, il va s'immiscer malgré lui dans le débat politique, acquérant à tort une réputation d’agitateur socialiste, se faisant même accuser de "traître à la patrie" alors qu'il est un individualiste nietzschéen convaincu...
"Grands dieux ! Comme s'il n'avait pas travaillé, en se privant de sommeil et en menant cette vie éreintante, pour s'élever jusqu'à elle !"
"Elle réfléchissait désespérément au moyen de le reprendre. Il pensait à son amour défunt. Il ne l'avait jamais vraiment aimée. Il le savait à présent. Il avait aimé une Ruth idéale, un être éthéré, sorti tout entier de son imagination, l'inspiration ardente et lumineuse de ses poèmes d'amour. La vraie Ruth, celle de tous les préjugés bourgeois, marquée du sceau indélébile de la mesquinerie bourgeoise, celle-là, il ne l'avait jamais aimée."
"Martin Eden", c'est le roman d'un transfuge de classe, d'un éternel incompris dont l'amour présidait à la beauté de son art et qui connut le désenchantement du succès solitaire des grands écrivains, le privant de tout désir de vivre.