si Jean Anouilh adapte les tragédies grecques, ce n’est pas par simple amour pour les histoires affreuses, mais bien parce qu’il y transmet sa vision du monde, héritée de la seconde guerre mondiale, se calquant sur le modèle tragique d’Eschyle, de Sophocle…. : on est autant pris de pitié que de dégoût pour chaque personnage.
Ni bons, ni mauvais, ni justes ni injustes.
La référence à Nietzsche est indéniable : ce bon et vertueux Jason qui vient, sur son beau cheval, délivrer l’infâme Médée de ses souffrances, lui offrant son Pardon divin, et surtout sa pitié, sa noble pitié, affirmant sa supériorité morale. On retrouve ici tout ce que Nietzsche décrit dans la première dissertation de la généalogie de la morale.
Mais pas que !
Le personnage de Médée représente l’être trahi, et humilié par cette morale d’esclave, à tel point qu’il entre dans un trouble psychiatrique, répétant son nom à la moindre raison, tentant de s’affirmer comme il le peut. Médée ne cherche nulle justice, elle est ce qu’elle est, et reconnait chacun de ses actes, prête à revivre ses crimes éternellement, allant jusqu’à l’ultime infamie : égorger ses enfants, innocents, pour faire souffrir le père.
Mais le noble et vertueux père lui, qu’en fait-il ? Il repart, laisse à ses gardes le soin d’attendre la fin de l’incendie, repartant régner. Et on se trouve alors dans sa situation : on aimerait faire le bon, le vertueux, et le critiquer de ne pas ressentie de chagrin, de faire la police de la
Morale, celle-là même qu’il fit à Médée, l’entrainant dans la folie.
Jason est aussi une image de l’homme qui recherche la pureté chez la femme, la virginité, la blancheur, lui meme qui est sali et n’est plus vierge.
Une Médée qui reprend les tendances féministes d’hystérisation et de réponse à l’offense par une offense bien pire qu’elle pense légitimée par sa souffrance (du Nietzsche toujours), un Jason qui représente les hommes qui veulent appliquer leurs moeurs fantasmés sur la femme (cf. Nietzsche, aphorismes du crépuscule des idoles), et une compréhension profonde des relations homme/femme; dans une pièce de théâtre d’à peine 70 pages. À lire donc.