Je me souviens encore de la fin de Médée d’Euripide. Assis sur un fauteuil d’une chambre d’hôtel à Herceg Novi, je sentais mon cœur palpliter et l’effroi s’emparer progressivement de moi quand je découvrais l’horreur absolue que commettait Médée, tuant ses enfants pour faire souffrir leur père, Jason, qui l’a trahie, trompée et méprisée après qu’elle lui ait rendu de fort beaux services. Je me disais qu’elle ne pouvait pas aller aussi loin dans la barbarie, mais elle l’a fait, et son envol sur le char ailé, tandis que Jason, ivre de douleur, hurle sa peine, est gravé à jamais en moi.
Chez Anouilh, pas de char ailé, pas de dragons, aucune noblesse et une absence totale de pompe. C’est l’humain dans ce qu’il de plus miséreux, et de cette bassesse, Anouilh parvient à transmettre la puissance des sentiments amoureux (la haine fait partie de l’amour) et passionnels à travers des dialogues poignants et une mise en scène frappante dans ce qu’elle a de rudimentaire.
Une roulotte, un feu, de la misère, pour torrent de passion. Médée aime Jason, sa haine assoudissante est aux antipodes de l’indifférence, réel contraire de l’amour. Le rapport homme-femme est sublimé via les échanges verbaux qui se concentrent sur leur histoire, leur passé, qui nous expliquent pourquoi Jason n’aime plus Médée, qu’elle est encore dans son cœur mais qu’elle n’entre plus dans ses projets de vie, sa vision du monde. Il est moins fourbe que chez Euripide car il vient lui faire face pour le lui dire.
Mais Médée elle, croit encore à un avenir à deux, elle n’accepte pas de le voir partir et voudrait qu’il se retourne une seule petite fois pour lui pardonner sa trahison. Elle est plus humaine que chez le tragédien antique où elle semblait incarner la cruauté pure.
Mais Jason ne se retourne pas, et l’horreur absolue arrive, on ressent toute la haine de cette femme, qui tue leurs enfants, parce qu’elle ne comprend pas, ou préfère plutôt se perdre dans l’atroce avant de se jeter dand les flammes plutôt que d’essayer de comprendre. La passion par-dessus la raison.
Pas d’asile chez Égée, ici, car chez Anouilh, les Dieux (Oui jsais, Égée n’en est pas un) et les destinées n’existent pas. Seulement les hommes, tas de chairs et d’os qui deviennent tas de cendres après immolation.
La conversation triviale de la servante après ces évènements donne le ton : la tragédie a changé, ses protagonistes principaux sont balayés des mémoires à tout jamais.