Il y a des livres comme ça, on sait pas bien par quel bout les prendre pour en parler sans en donner une image faussée ; c’est le cas de Middlesex (2002), de Jeffrey Eugenides.
Publié près de 10 ans après Virgin Suicides, ce livre témoigne à nouveau du talent de son auteur pour retranscrire les turbulences du passage à l’âge adulte. Mais pas que ! Sauf qu’en ouvrant ma chronique sur la généalogie douteuse d’une famille aux origines grecques, vous risqueriez de vous représenter un tableau antique. L’évocation de l’incendie de Smyrne ou du bar clandestin ouvert à Détroit durant la prohibition pourrait vous faire penser à une fresque historique survolant les époques et les continents. Mentionner les difficultés de l’intégration américaine et l’épisode des émeutes de 1937 ajouterait des considérations politico-sociales sans que l’humour du narrateur puisse être évoqué un instant… Bam, un nouvel incendie, comme un écho au passé familial ; et voilà que vous demandez si ce roman n’est pas un drame, une tragédie peut-être ? Naît alors Calliope et avec elle, le mirage de l’adolescence et ses premiers émois. Les taches de rousseur de l’Obscur Objet. Mais attendez… L’épée de Damoclès que constitue l’imbroglio familial des Stephanides ne serait-elle pas tombée ? Ne serait-ce pas le gène de l’intersex qui se révèle ? Et Callie, ne préférerait-t-elle pas se faire appelée Cal ?
Ce roman porte en lui une mosaïque de thèmes dont émergent références mythologiques, détails scientifiques, et réflexions sociologiques qui s’entrecroisent et s’enlacent avec brio. Autant de petites pièces de couleurs accolées les unes aux autres qui font apparaitre en grand la question de l’identité. Sexuelle certes, mais surtout personnelle ; et de sa construction biologique, sociale et familiale. Par le récit détaillé d’une histoire qui dépasse son personnage principal, Jeffrey Eugenides rappelle que le genre n’est pas la catégorie première pour comprendre un individu et récuse l’injonction à l’assignation obligatoire. Pour reprendre les mots d’Olivia Gazalé : un livre d’utilité publique !