De l'aventure romanesque avec un périple en haute mer à la croisée des continents s'étalant sur plusieurs années, de l'étude naturaliste en mode traité encyclopédique sur les cétacés, des réflexions éthiques quant aux rapports homme/animaux et hommes/foi, une plongée historique ultra docte et fouillée dans la pêche américaine à la baleine au XIX ème siècle où on apprend des tonnes de choses (sur la géo-politique commerciale de l'époque entre les différents pays, le choc des cultures de différentes civilisations, l'exploration et la découverte des continents, les rapports concurrentiels ou non entre les baleiniers, l'ouverture et la globalisation du capitalisme engendré par le milieu...)le tout avec des personnages mémorables et des passages inoubliables à foison... Moby Dick a tout du roman total et représente tout ce que j'aime. Melville a pour moi tout compris.
La force du récit est son grand pouvoir d'immersion et sa construction narrative. Car dans tout ce que je viens de lister le plus impressionnant c'est que non seulement cette liste n'est pas exhaustive mais qu'en plus tout est bien amener et intéressant malgré le style très emphathique et pompeux de l'auteur qui, il faut le reconnaître, en fait des caisses dans la grandiloquence. Ce qui finit par diluer un tantinet le souffle épique du roman à la longue car chez cet auteur tout est souvent prétexte à des envolées lyriques. Ce qui fait qu'on alterne entre moments banals du quotidien d'un navire baleinier avec une très bonne reconstitution de la routine qui en découle (avec le jargon technique bien poussé comme il faut avec les "gréements" et autres "sabords" et qui fait qu'on ne sait parfois pas à quoi l'écrivain fait référence) et de la poésie à foison sur la beauté indicible de la mer, du soleil, sur le caractère majestueux de la faune sous-marine et sur la loi du talion qui anime l'incroyable et iconique capitaine Achab face à ce gigantesque cachalot blanc qui lui a arraché la jambe. C'est aussi ce qui fait tout l'intérêt de ce bouquin. La croisée des genres est souvent la particularité des grands romans mais celui-ci le fait avec une verve et un panache rarement lu.
J'ai vraiment bien aimé la gestion du suspense qui nous fait attendre un événement qui tarde énormément à arriver avec un équipage qui, au départ extatique à l'idée du voyage qui s'annonce finit progressivement par tomber dans l'ennuie, le doute et même pour certains la folie face à l'obsession incensée du patron du navire qui ne fait qu'envoyer ses hommes au casse-pipe. On a vraiment l'impression d'y être et sur ça c'est assez bluffant. Le caractère éprouvant et interminable de l'épopée qui joue avec nos nerfs est très bien restitué et j'en attendais pas moins d'un sujet pareil où c'est le voyage plus que la destination et le but qui compte.
Il y a absolument tout dans ce grand roman. Tout a une fonction et sert le propos à commencer part la longueur du livre qui nous retranscrit la redondance avec grande minutie quand ce n'est pas pour décrire la démesure. On sent que l'auteur a été lui-même un grand globe-trotter dans la vie.
Chacun pourra trouver quelque chose à quoi se raccrocher pour continuer et finir le récit. Même le religieux car Mellville se réapproprie certains mythes bibliques avec certains passages dont je me souviendrais longtemps et qui représentent de vrais moments de grâce. Mais l'oeuvre est emprunt d'un certain mysticisme qui peut manquer, il est vrai d'un brin de subtilité et de simplicité.
Dommage que ça en fasse parfois un peu trop donc mais ça reste un incontestable grand roman qui a marqué à juste titre et qui entre dans mon top 10.