J'ai mis énormément de temps à lire ce bouquin. Cinq mois exactement. Mais ce n'est pas parce que le roman serait difficile à lire ou mal écrit. Juste que j'ai manqué de temps à cause d'un boulot. Du coup, je ne pouvais dévorer que petit à petit cette belle aventure ! En un sens ce n'est pas plus mal, car j'ai porté l'intrigue en moi pendant de longs moi, y repensant fréquemment.
Il faut dire que, le côté pratique de la structure proposée par Melville, c'est que les chapitres sont généralement très courts. Je recommande d'ailleurs ce bouquin à quiconque n'a que peu de temps à consacrer à la lecture. Enfin, je dois ça, mais je crois comprendre que pour beaucoup de gens, s'arrêter en plein milieu d'un chapitre, ce n'est pas grave. Pour moi ça l'est ! Comment peut-on oser s'arrêter au milieu d'une phrase, au milieu d'un développement ? S'il y a un chapitre, c'est qu'il y a une raison. Est-ce que ça vous arrive souvent de couper un épisode de série ou un film en plein milieu et d'y revenir le lendemain ? Bon, j'avoue que ça m'arrive parfois, contre ma volonté... mais en règle générale je fais en sorte de pouvoir dégager assez de temps pour regarder un film ou lire un chapitre.
Mais un chapitre, c'est même plus rageant de le couper qu'un film. Pour moi, ça se rapproche plus de couper quelqu'un en train d'expliquer quelque chose pour ensuite reprendre la conversation comme si de rien n'était le lendemain (et couper à nouveau ? certains oseront !). Pour moi, un roman, ça se rapproche plus d'une conversation intime entre un écrivain et un lecteur. Je trouve que les convictions sont bien plus palpables que dans un film, qu'il y a davantage un semblant d'échange que dans un film. Alors couper au milieu d'un chapitre, vraiment, pour moi, c'est aussi vil que couper un interlocuteur.
Ce serait d'autant plus fou de faire ça avec un roman tel que "Moby Dick" où des chapitres entiers sont conçus pour expliquer telles et telles activités à bord d'un baleinier. Où l'auteur prend le temps de décrire la manière de découper une tête de baleine, comment en récolter la graisse, etc.. Soit.
"Moby Dick" est donc un récit très dense, qui contient beaucoup de descriptions, oui, mais des descriptions utiles. Et puis, Melville raconte si bien que j'aurais aimé qu'il soit mon grand-père. Ainsi, j'aurais pu écouter ses milliers d'histoires autour d'un bon feu de bois, une tasse de chocolat chaud entre les mains.
La narration fonctionne globalement assez bien, avec cette alternance entre descriptions des faits et faits d'aventure. Ce qui m'a un peu manqué, c'est un approfondissement des personnages. Ou plutôt une exploitation plus riche de ceux-ci. Car si le début nous en présente plusieurs et si la fin ne fait plus que parler d'eux, ça manque cruellement au milieu. Il se passe des choses, oui, mais avec le sentiment que ça aurait pu arriver à n'importe qui et non pas seulement à l'équipage du Péquod. Et ça, c'est un peu dommage.
Surtout que la fin contient des petites fautes de rythme, avec tous ces états d'âme qui s'enchaînent. Il aurait été bon de les distiller tout au long de l'intrigue, tout en conservant l'effet crescendo. Et puis s'occuper du reste de l'équipe. Je suis par exemple déçu que Queequeg disparaisse si vite de l'intrigue. Le dernier chapitre qui lui est consacré m'a en plus laissé sur ma faim, la conclusion étant un peu décevante, comme si l'auteur n'avait pas osé aller au bout de son idée.
Et puis il y a Ishmaël ! L'auteur a l'intelligence d'en faire un pur réceptacle d'identification. C'est-à-dire qu'il découvre en même temps que nous pas mal de chose, il semble alors être le mieux placé pour nous conter l'histoire. C'est bien aussi que ce ne soit pas le point de vue d'un vrai héros qui soit adopté. Sauf qu'à la fin, on oublie que c'est Ishmaël qui assiste à toute l'affaire. Achab s'accapare le récit, devient le héros, on adopte son point de vue et ça devient moins intéressant. Surtout que le bougre, plutôt taiseux jusque là, se révèle être un vrai moulin à parole, allant jusqu'à gâcher l'affrontement final, cassant le rythme de la bataille par le flot de sa poésie. C'est dommage.
Heureusement, "Moby Dick" est un roman très riche. On peut y trouver pas mal de choses à manger et ces petits défauts ne gênent donc en rien le plaisir général de la lecture. À propos du thème, la préface signale qu'il s'agit du combat entre un homme et Dieu. C'est vrai. Mais ça n'arrive que très tard dans la narration. Je pense qu'il aurait été intéressant de construire cet élément dès le début. Achab ne fait pas aussi peur au début qu'à la fin. Il paraît même absent. Une fois de plus, j'adhère à cette montée en puissance de sa folie, c'était même la meilleure chose à faire, mais je trouve qu'elle se fait trop vite au dernier moment, que ça aurait dû commencer plus tôt. Pareil pour la terreur incarnée par la baleine blanche, je trouve qu'on ne la ressent pas assez dès le début. Peut-être qu'une première confrontation aurait pu arranger le coup ?
Mais bon, je le répète, je pinaille ! Le livre est très agréable à lire, c'est la première fois que je lis un roman d'aventure en ressentant autant l'aventure. Par ces petits détails du quotidien, par ces figures qui s'enthousiasment à la vue d'un monstre des mers, j'ai vraiment eu la sensation de faire partie de cette chasse.
Il en résulte d'ailleurs quelques sentiments contradictoires en ce qui me concernent. Je suis bien conscient que la chasse est utile pour vivre. Il n'empêche que je n'aurai jamais envie de la pratiquer moi-même : enlever la vie d'un animal ou d'une personne me donne la nausée. Il faut vraiment que j'aie une grande peur de l'autre pour me laisser aller à le détruire, comme par exemple une grosse araignée. Mais même là, si c'est possible, j'essaie de montrer la porte de sortie.
Et donc, lire ce livre, c'est vivre cette chasse. Et lorsque la chasse tourne au massacre... il y a de quoi être un peu mal à l'aise. Ce qui m'a surpris, en revanche, c'est que l'auteur signale que ce type d'activité est nuisible à l'espèce qui va droit vers l'extinction. Il juge ces traqueurs émérites mais sans pour autant les condamner.
Bref, j'ai pris énormément de plaisir à découvrir ce roman que je ne connaissais que de nom (bon je savais que ça parlait de la chasse d'une baleine blanche) ; des surprises, de l'émotion, du rire, de l'angoisse, voilà tout ce que j'ai pu ressentir tout au long de l'aventure et j'envie ceux qui vont seulement découvrir ce livre.
PS : histoire de parler encore plus de moi inutilement, ce livre m'a également conforté à un bon moment de ma vie. Je suis en effet occupé sur une bande dessinée qui s'avère excessivement longue. Certes cela ne parle pas de baleine et le sujet dérisoire ne vaut sans doute pas qu'on s'y attarde aussi longuement. N'empêche que l'on peut raconter des histoires très longues sans jamais ennuyer. Le tout est de nourrir le récit. J'espère donc que ce bouquin aura une influence positive sur mon travail.