Je n'ai jamais encore eu la chance de rencontrer Beckett, si ce n'est comme nom, comme jalon de l'Histoire théâtrale. Molloy m'a fait un effet monstre. À la fois aboutissement de la littérature du début XXe, à laquelle il renvoie et répond largement tout du long, et commencement de quelque chose de réellement nouveau et probablement unique.
Molloy, un vieil homme, presque un vagabond, rentre chez sa mère. Il perd cependant très vite ses repères et ses capacités, aussi bien physiques que mentales. Le cheminement s'étire et s'appesantit. Un pas après l'autre, Molloy raconte une errance qui n'en finit pas de tendre vers l'immobilisme et le néant. Dans la deuxième partie du livre, l'on fait la connaissance d'un nouveau narrateur : Moran, qui, accompagné de son fils, est chargé de rejoindre Molloy (ou Mollose, peut-être ne s'agit-il d'ailleurs pas du Molloy dont nous avons suivi les péripéties), où qu'il soit. Sa propre errance l'amène à explorer la non-relation qui l'unit à son fils...
Parcours fascinant rempli de digressions révélant le fond de l'esprit des protagonistes, Molloy est tout bonnement un ovni. Beckett dépouille le style jusqu'à atteindre une proximité rare avec son lecteur, et raconte l'histoire la plus vide, mais la plus captivante possible. C'est qu'en Molloy et Moran, malgré leur étrange comportement et leurs malheurs, bouillonne un concentré d'humanité qui donne à leurs récits une dimension d'universalité.
Molloy parle de tout et de rien. Il parle d'angoisse, de souffrance, de relations difficiles, d'extase, de puissance, d'impuissance, de sens, de perte des sens, de néant, de finitude, d'infini. Comment voir en Beckett un écrivain pessimiste et nihiliste ? Ce roman célèbre la vie en permanence.
Magnifique, bourré de références, intime et universel, Molloy marque durablement.