Mon Maître et mon vainqueur, François-Henri Désérable, Gallimard,


On croyait que la littérature avait depuis longtemps renoncé au sempiternel triangle amoureux : le mari, la femme et l'amant. François-Henri Désérable fait le pari culotté d'y revenir dans ce livre qui ne bouleverse certes pas les canons du genre, mais les revisite avec une cocasserie à la fois vaine et plaisante.


Vaine pour toutes les raisons qu'on imagine : on lit sans apprendre grand chose de la vie, ses personnages sont des clones, avec seulement de légers glissements paradoxaux : c'est le compagnon « cocu » qui a un corps d'athlète, qu'il entretient plus qu'il ne se préoccupe de sa compagne, mais il est celui des deux qui élève les enfants ; l'amant est un intello barré, conservateur à la BNF, gentil, un peu anodin ; elle, une comédienne, passionnée de Rimbaud et Verlaine, aux yeux verts (« L'Amazonie vue du ciel »), qui «  ne cherche pas à aimer ou être aimé, mais à baiser autant que possible, à jouir ou faire jouir, car elle trouve dans la jouissance un exutoire et un répit : la disparition provisoire du fardeau du quotidien qu'est le métier de vivre ».


Plaisante malgré ce, car on y apprend dés les premières pages qu'un crime a eu lieu (nous sommes dans le bureau d'un juge d'instruction et le narrateur que le magistrat interroge est l'ami du trio) sans rien savoir de la nature du crime ni de l'identité de l'accusé et l'auteur parvient à conserver le secret presque jusqu'aux dernières pages.


Plaisante, car Désérable, qui a si peu à nous dire, sait tout de même écrire, ce qui entretient l'intérêt du lecteur, et fabriquer un livre, ce qui le relance chaque fois que l'on serait tenté d'interrompre là cette histoire de peu, en y insérant, toutes les quarante pages, des scènes drolatiques : le vol du cœur de Voltaire, conservé dans un coffret fiché dans le socle en bois d'une statue du grand écrivain par Houdon, installée dans les locaux de la BNF de la rue Richelieu ; l'achat aux enchères par l'un des protagonistes du pistolet de Verlaine ayant tiré sur Rimbaud ; le syndrome de Paris dont sont victimes les touristes japonais au constat de l'écart entre la vision idéalisée qu'ils se faisaient de la ville et la réalité - Désérable doit être vaguement anti-Hidalgo !


Et ne répugne pas à quelques aphorismes, plus ou moins réussis : «  Aux âmes dépassionnées, la passion est obscène » ou « le bon romancier doit avoir à l'égard de ses personnages le cœur tendre et l'oeil dur » (ça, c'est assez juste).


Mais tout ceci ne paraîtrait que vaguement chic et bien superficiel si la folie ne s'emparait soudain de l'auteur à l'heure du dénouement. Les dernières pages sur une désastreuse cérémonie de mariage sont grandioses ! On songe à un film des Monthy Python. C'est absurde, cruel, tout à fait improbable, irrésistible.


Elles sauvent le livre. Qui a été récompensé par le Grand Prix du roman de l'Académie française 2021, ce qui confirme que l'on doit s'ennuyer pas mal Quai Conti.

JoëlBoyer
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le 28 déc. 2021

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Joël Boyer

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