Monsieur Vénus
7.4
Monsieur Vénus

livre de Rachilde (1884)

Monsieur Vénus ou la tension dans le Pouvoir | ⭐⭐⭐,75

En deux mots, pour introduire ce billet sans m’appesantir sur une accroche d’un livre cent fois chroniquer sur bookstagram, *Monsieur Vénus* est l’histoire d’une obsession, celle de Raoule, jeune femme masculine (ou jeune homme féminine selon les points de vue) de “la haute” qui va entretenir cette obsession pour un pauvre garçon naïf, innocent et, du moins d’abord, prude de façon matériel et, par ailleurs, érotique.


— […] Pas de milieu ! Ou nonne, ou monstre ! Le sein de Dieu ou celui de la volupté ! Il vaudrait peut-être mieux l’enfermer dans un couvent, puisque nous enfermons les hystériques à la Salpétrière ! Elle ne connaît pas le vice, mais elle l’invente ! Il y avait dix ans de cela, au moment où commence cette histoire…, et Raoule n’était pas nonne…..

Encore plus que l’habituelle inversion des rapports de genre qu’on retrouve, semble-t-il, disons le, partout chez Rachilde, on peut observer un inversement, non moins intéressant, des rapports sociaux liés à la classe sociale. Le pouvoir est en tension dans ce roman qui vise, tout le temps, à se redéfinir - tout comme l’idée de possession de l’autre qui en découle. Il en va de même pour la bien commune scission entre nature et culture qui court toute l’œuvre, et d’autant plus les chapitres introductifs qui foisonnent de réflexions


Une sorte de vertige l’attirait vers ce nu. Elle voulut faire un pas en arrière, s’arracher à l’obsession, fuir… Une sensualité folle l’étreignit au poignet… Son bras se détendit, elle passa la main sur la poitrine de l’ouvrier, comme elle l’eût passée sur une bête blonde, un monstre dont la réalité ne lui semblait pas prouvée. […] Jacques tressaillit, confus. Ce que d’abord il avait cru être une caresse lui semblait maintenant un contact insultant.

A vrai dire, qu’y-a-t-il d’étonnant là-dedans lorsqu’on sait que Rachilde, si l’on en croit son autobiographie Quand j’étais jeune (1947) — et ce, malgré ses inclinaisons parfois réactionnaires, d’autant plus souvent à la fin de sa vie — que Victor Hugo était “son Dieu”, lui l’auteur du plus grand roman social du XIXe siècle (si ce n’est de tous les temps si on oublie Aragon) Les Misérables (1862) ?


Cette femme l’avait tiré de ses gerbes de fleurs fausses, comme on tire des fleurs vraies l’insecte curieux qu’on veut poser, en joyau, sur une parure.

Ici, contrairement à ce que j’ai déjà lu, il n’est jamais question d’un homme ou d’une femme, ou seulement d’un homme, ou seulement d’une femme, dans des corps étrangers mais bien plus d’être au genre hybride en leur nature, féminine, masculine dans leurs rapports sociaux mais résolument autre dans leur intimité — du moins dans la majeure partie du livre.


Digne de la Vénus Callipyge, cette chute de reins où la ligne de l’épine dorsale fuyait dans un méplat voluptueux et se redressait, ferme, grasse, en deux contours adorables, avait l’aspect d’une sphère de Paros aux transparences d’ambre. Les cuisses, un peu moins fortes que des cuisses de femme, possédaient pourtant une rondeur solide qui effaçait leur sexe. Les mollets, placés haut, semblaient retrousser tout le buste, et cette impertinence d’un corps paraissant s’ignorer n’en était que plus piquante. Le talon, cambré, ne portait que sur un point imperceptible, tant il était rond. Les deux coudes des bras allongés avaient deux trous roses. Entre la coupure de l’aisselle, et beaucoup plus bas que cette coupure, dépassaient quelques frisons d’or s’ébouriffant. Jacques Silvert disait vrai, il en avait partout. Il se serait trompé, par exemple, en jurant que cela seul témoignait de sa virilité.”

Dernière chose positive, assez générale sur l’économie du livre : la force de Rachilde, du moins dans ce livre, c’est sa narration on ne peut plus maîtrisée, cela associée à son style très exact, mais plus épuré que les autres décadents. En somme, il y a finalement une sorte d’équilibre et de virtuosité dans son style.


L’honnête épouse, au moment où elle se livre à son honnête époux, est dans la même position que la prostituée au moment où elle se livre à son amant. La nature les a faites nues, ces victimes, et la société n’a institué pour elles que le vêtement. Sans vêtement, plus de distances, il n’y a que la différence de beauté corporelle ; alors, quelquefois, c’est la prostituée qui l’emporte.

Hélas, je trouve que le concept et l’approfondissement de celui-ci sont beaucoup moins efficaces les 100 dernières pages, ce qui est dommage — mais bon, ça reste vraiment pertinent, à ça 🤏 d’être vraiment révolutionnaire et le chef-d'œuvre qu'on dit.

nemetira_
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le 11 févr. 2025

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