Sorti chronologiquement avant « Réparer les vivants » ce roman « Naissance d’un pont » est du même calibre : un excellent style (longues phrases narratives) à la fois aéré, lumineux et parfois même flamboyant, une précision des descriptions extrêmement minutieuse, le souci du détail, une grande documentation sur un plan technique (ici la construction d’un pont), l’art de « broder » sans être ennuyeux et toujours ce vocabulaire très riche qui fait défaut a beaucoup d’œuvres.
On est donc pris dans le roman et l’art de raconter de Maylis de Kerangal fait le reste.
L’histoire est simple : un maire américain, un brin mégalo et dont la ville est un peu coupée du monde, décide de construire un pont pour relier sa cité avec l’autre berge. Un pont mais pas n’importe quel pont, le nec plus ultra technologique avec le design et la grandeur qui vont avec. Un chantier titanesque où se croise et grouille, sur et autour de celui-ci, une foule de gens.
Et d’ailleurs pas de héros ni d’héroïnes ici, ni même de personnage central mais une multitude d’individus qui gravitent autour de ce pont.
Au-delà des personnages intéressants, très différents les uns des autres, vivants et crédibles, de Kerangal pose à travers son livre des questions telles : construire un pont est -il un progrès ? pour qui ? Le « progrès » et la « croissance » nécessitent-t-ils de sacrifier ceux pour qui le pont n’a aucun intérêt ou est même néfaste (ici les indiens) et doivent-il être le moteur principal d’une civilisation ? Ceux au nom de quoi on doit acquiescer et qui justifient tout ?
On a droit à quelques scènes cocasses notamment celle où une espèce d’oiseaux migrateurs, protégés, arrive à empêcher l’avancée du chantier et des travaux durant quelques semaines !
On retrouve les mêmes ingrédients que pour « Réparer les vivants » et toujours cette magie et ce génie pour décrire des procédés complexes avec tout le jargon technique qui va avec (mais de ce point de vu là c’est encore plus impressionnant dans « Réparer les vivants »).
Et le tour de force d’écrire un très beau roman sur un thème aussi « banal », de prime abord, que la construction d’un pont.
Comme pour de nombreux autres romans, enfin c’est mon avis, on a quelques petites longueurs sur la fin, un peu moins captivante, ça s’essouffle un brin en intensité, mais rien de bien méchant le tout restant de haute qualité.
Un roman que je conseille vivement pour sa grande richesse littéraire.
7,5/10