La démocratie n’est qu’un moyen en vue du bien. En rappelant cette apparente évidence en 1943, l’année de sa mort, dans un article réédité aujourd’hui avec les réactions enthousiastes qu’il a suscitées chez André Breton et Alain, Simone Weil bouscule nombre de nos idées reçues. Pour que l’on puisse considérer avec Rousseau la volonté du peuple comme supérieure à la volonté d’un seul - postulat de notre conception du bien public -, il faudrait que soient remplies deux conditions essentielles : d’une part que le peuple, lorsqu’il prend conscience de sa volonté, ne soit pas animé par la passion ; d’autre part qu’il lui soit donné de s’exprimer sur des questions relatives au bien public, et non sur des personnes. A ces deux exigences théoriques, l’existence de partis politiques oppose de fait un constant refus. Qu’il s’agisse de partis uniques totalitaires, de partis révolutionnaires ou bourgeois, tous poursuivent un même objectif : leur propre croissance ; et tous, à cette fin, sont conçus pour favoriser la passion collective et instituer des intermédiaires entre le peuple et les questions de bien public. Cette structure fondamentale des partis conduit à un éloignement durable de tout souci de vérité : avec rigueur, Simone Weil propose donc de regagner le sens d’une démocratie devenue incantatoire en en défaisant le noeud. Le communisme, le nazisme, le fascisme constituent la toile de fond historique de ce texte ; à l’heure de la crise de la représentation que nous traversons aujourd’hui, d’autres résonances, non moins puissantes, s’y font entendre et rendent sa lecture capitale.