On trouvera dans ce livre très bref (84 pages) de la poésie, du théâtre et de la musique. Alessandro Baricco est capable de mêler tout cela, pour nous offrir une oeuvre protéiforme, vivante, vibrante, lyrique et inspirée comme toujours - bouleversante.
Je ne voudrais pas raconter l'intrigue ici, je me contenterai simplement de recopier un extrait qui m'a paru très beau et que j'aimerais garder en tête longtemps, et partager :
Les désirs déchiraient mon âme. J'aurais pu les vivre, mais je n'y suis pas arrivé. Alors, je les ai ensorcelés. Toutes les femmes du monde je les ai ensorcelées en jouant une nuit entière pour une femme, une, la peau transparente, des mains sans un seul bijou, des jambes fines, elle balançait sa tête au son de ma musique, sans sourire, sans baisser les yeux, jamais, une nuit entière, et quand elle s'est levée ce n'est pas elle qui est sortie de ma vie, c'étaient toutes les femmes du monde. (...) La terre qui était la mienne, quelque part dans le monde, je l'ai ensorcelée en écoutant chanter un homme qui venait du Nord, et en l'écoutant tu voyais tout, tu voyais la vallée, les montagnes autour, la rivière qui descendait doucement, la neige l'hiver, les loups dans la nuit, et quand cet homme a eu fini de chanter, alors ma terre, où qu'elle se trouve, a été finie à jamais. Les amis que j'ai désiré avoir, je les ai ensorcelés en jouant pour toi et avec toi, et dans l'expression de ton visage, dans tes yeux, je les ai vus tous, mes amis bien-aimés, quand tu es parti, ils s'en sont allés avec toi. J'ai dit adieu à l'émerveillement quand j'ai vu les icebergs géants de la Mer du Nord s'écrouler, vaincus par la chaleur, j'ai dit adieu aux miracles quand j'ai vu rire ces gommes que la guerre avait démolis, j'ai dit adieu à la musique, à ma musique, le jour où je suis arrivé à la jouer tout entière dans une seule note d'un seul instant, et j'ai dit adieu à la joie, en l'ensorcelant elle aussi, quand je t'ai vu entrer ici. Ce n'est pas de la folie, mon frère. C'est de la géométrie. C'est un travail d'orfèvre. J'ai désarmé le malheur. J'ai désenfilé ma vie de mes désirs. Si tu pouvais remonter ma route, tu les y trouverais, les uns après les autres, ensorcelés, immobiles, arrêtés là pour toujours, jalonnant le parcours de cet étrange voyage que je n'ai jamais raconté à personne sauf à toi.
Lisez et succombez au charme des notes et des mots de Dany Boodman T.D Lemon Novecento.