C'est la dernière pièce connue que Sophocle a écrite. Il semblerait qu'il ne l'ait pas vu jouer de son vivant.
La tragédie est le chainon manquant entre Œdipe Roi et Antigone.
Enfin, on quitte Œdipe à la fin de "Œdipe Roi" dans une zone d'incertitude. On sait qu'il doit partir en exil mais on ne sait pas vraiment dans quelles conditions. De fait, ici, plusieurs années se sont écoulées et on retrouve Œdipe aveugle et errant avec pour seul appui Antigone, sa fille.
Ils arrivent à Colone, dans la banlieue d'Athènes, ville dédiée au culte de Poséidon. Surtout, il y a, là, la présence des Euménides, ces fameuses créatures qu'on découvre dans le troisième opus de l'Orestie. Les Euménides sont le résultat de la transformation des Érinyes, créatures infernales qui poursuivaient de leur haine tout criminel et Oreste, en particulier. Athéna et l'Aréopage avaient, alors, décidé de modifier le système judiciaire basé sur la loi du Talion en instaurant un tribunal équitable pour traiter ces querelles familiales sans fin et en substituant aux Érinyes, les bienveillantes Euménides.
L'errance d'Œdipe, poussée par les dieux et les oracles, touche à sa fin avec son arrivée à Colone, pays généreux, accueillant aux étrangers et soucieux d'une vraie justice. Quelque chose de très amusant, c'est que Colone est aussi la ville natale de Sophocle … Je ne crois pas toutefois que Sophocle y ait mis une intention car Colone est cité par ailleurs …
Œdipe à Colone est une très belle tragédie où se développe le caractère d'Antigone, dévouée corps et âme à son père. Elle intercède auprès des Euménides pour qu'elles lui accordent la bienveillance avant que n'arrive le roi, héros d'entre les héros grecs, Thésée.
On peut reprocher qu'il ne se passe pas grand-chose, en termes d'action, dans la pièce. En fait, cette tragédie est très politique. C'est pourquoi j'ai tendance à la rapprocher de l'Orestie (Les Euménides). En effet, Œdipe demande à Thésée l'asile jusqu'à sa mort en échange du poids de sa présence comme gage protecteur de la cité contre d'autres cités, éventuellement, belliqueuses.
Et lorsque Créon, le régent de Thèbes, et Polynice, un des fils d'Œdipe viennent, chacun à leur tour, supplier Œdipe de revenir à Thèbes comme caution morale ou caution protectrice de la cité, pour l'un ou de l'armée levée à Argos pour l'autre, Œdipe refuse plus par mépris (les ronds-de-jambe menaçants de Créon puis ceux de Polynice) ou par devoir (les oracles, quand même) que par vengeance pour son humiliation ancienne.
Et je trouve ça tellement actuel ! les politiciens qui se réclament d'un illustre héros en France, viré pourtant comme un malpropre (en 1969, suivez mon regard) , et qui font des ronds-de-jambe devant sa tombe pour s'en attirer les faveurs …
Et puis, Sophocle, dans sa grande sagesse, s'est arrangé pour que cette pièce, ce chaînon manquant, soit bien "raccord" avec la pièce "Antigone". Puisqu'à la fin Thésée renvoie Antigone et Ismène à Thèbes, pour tenter d'éviter la guerre meurtrière annoncée entre Polynice et Étéocle. Sophocle s'arrange aussi pour que le caractère de Créon commence à s'affirmer alors que dans "Œdipe Roi", Créon faisait plutôt office de faible comparse devant le souverain Œdipe tandis qu'il s'impose dans "Antigone" lorsqu'il prend la relève de ses neveux après leur mort…
Mais je vais terminer par la très belle agonie d'Œdipe dans la pièce et sa mort chargée de symboles. Lors de la visite du musée de Delphes, nous avions posé la question à la guide de savoir si on avait localisé le tombeau d'Œdipe. La guide, nous regardant bien en face, nous a répondu : "mais vous savez bien que Thésée a emporté le secret avec lui et ne l'a jamais divulgué !"